Ferrare, le temps d'une halte.
S'asseoir à une terrasse.
Déguster une glace.
Observer les couples qui passent.
L'idée me vient que, si l'équinoxe marque le moment de l'année où jour et nuit sont d'égale durée, j'ai pour ma part dépassé le milieu de la vie. "Profite du jour qui reste!" semble dire le vent rouge soufflé par les amaryllis, dans un murmure plus optimiste que celui qu'entendit Issa un certain printemps :
L'arrivée de la nuit instaure un sentiment plus profond d'intimité clanique. Je demande à Gary [Snyder] si, avant la fin de la soirée, il accepterait de lire un texte à voix haute et si Erin pourrait lui lire l'un des siens. D'habitude, Erin est imperturbable, et quand elle blêmit en entendant ma suggestion, je la vois réagir ainsi pour la première fois.Gary ne manifeste nullement que cette demande serait inhabituelle. "Bien sûr, dit-il. J'ai quelque chose sur quoi je travaille depuis un moment, j'aimerais bien l'essayer avec vous."Il n'y a aucun ego en lui. Je soupçonne que tous les grands sont capables de bannir l'ego pour acquérir la pureté enfantine, chauffée à blanc, du processus créateur. Invente quelque chose. je me rappelle Jim Harrison racontant que sa mère, à la fin de sa vie, lui disait : "Eh bien, Jimmy, tu n'as pas trop mal gagné ta vie avec tes calembredaines."Je désire que ce soit un épisode mémorable pour Erin. C'est un bon exercice. Lire à voix haute apporte une conscience aiguë de chaque mot, contraint l'écriture à assumer sa responsabilité pleine et entière de chaque pulsation, cadence, rythme et son; de tous les passages maladroits, bancals.
L'inquiétude est une mauvaise habitude, un gâchis de sérotonine. Réserve-la entièrement pour la page écrite, me dis-je. Contrôle ce que tu peux contrôler. Le monde veillera au reste.Avec ce livre, il nous permet de découvrir ou de mieux connaître certains grands écrivains américains (vivant pour la plupart à l'écart des grandes métropoles après une jeunesse pour le moins tumultueuse). On en vient à admirer et envier ces artistes chasseurs, pêcheurs, fermiers, activistes, éleveurs, qui se sont construit de merveilleux ateliers aux fenêtres s'ouvrant sur des paysages de rêve. Les partages donnent lieu à des moments d'émotion intense et de solide fraternité (certains héros sont âgés, ou malades, on sent que le temps leur est compté). Ils invitent à réfléchir sur ce qu'implique le métier d'écrire en matière de doutes, de rituels et d'énergie créatrice. Le livre est aussi ponctué de scène cocasses (passage de douane sanguinolent à Heathrow, découverte incongrue d'une prothèse et de couches au fond d'un sac à Genève, victuailles volant sur une autoroute, explosion d'une oie dans un jardin). Enfin, last but not least, il donne à découvrir en quoi consistent les repas étasuniens quand ils ne sont pas tout droit sortis de l'abominable grande distribution :
Nous coupons davantage de minces lamelles de gingembre, que nous intégrons à la viande hachée d'élan. Cette tâche est une vieille routine, le genre de chose qu'on peut presque faire les yeux fermés. Après le bruit et la fureur de la préparation du dîner pour Sedaris, il est agréable de goûter à cette frugalité, tandis que la lumière estivale entre par les fenêtres et tombe sur la salade multicolore d'Erin - le rouge foncé de la betterave, le bleu marbré, quelques raisins dorés et, une touche d'élégance dont je suis fier, quelques violettes cueillies derrière chez moi le jour de mon départ et gardées sur la glace dans un sac de conservation. Pour le dessert, encore de la rhubarbe, pas une tarte cette fois-ci, mais un crumble avec de la crème fouettée.