dimanche 16 juillet 2023

Habiter / Vivre : le chantier

 
Vue de San Pietro a Toscanella / François-Marius. Granet / Musée Granet / Aix-en-Pce
 
C'est - ou peut-être faudrait-il employer l'imparfait ? - une jolie maison donnant sur les vignobles et, par-delà, sur le lac paisible et sur le Jura. Après quelques flottements, quelques changements de locataires, voilà qu'il y a trois ans une famille avec deux très jeunes enfants l'a rachetée. Une vraie aubaine de l'avoir trouvée : une cuisine ouverte sur le salon, trois chambres et un jardin, deux places pour se parquer et une vue à 180°, l'ensemble pour un prix tout à fait raisonnable. Rien à redire, le couple d'acquéreurs était comblé.
 
Cependant, au bout de quelques mois, il s'est trouvé que la maison - quoique récente, quoique plaisante - ne convenait pas exactement à leurs besoins : la propriétaire a fait savoir qu'ils allaient procéder à de menus aménagements : construire une chambre d'enfant supplémentaire et un garage pour mettre à l'abri leur véhicule tout terrain. Trois fois rien. 
 
Les travaux ont commencé. Pour le peu qu'il y avait à entreprendre, pas besoin d'expert ni de chef de chantier. C'est Monsieur qui allait s'en charger. Du reste, sur la parcelle contiguë, une villa allait être construite. Les travaux iraient donc de concert et bon train. On perçut alors une intense activité humaine et tous ses échos. On vit passer et repasser, camions, grues, bétonneuses et bennes chargées de toutes sortes de matériaux. On observa la fuite de toutes sortes d'animaux, l'envol de bon nombre d'oiseaux.
 
Or, tandis que la villa nouvelle s'élevait rapidement de terre, les menus travaux de ses voisins ne tardèrent pas à s'étendre et à s'amplifier, devant, derrière, et aussi sur les côtés. Au bout de quelques mois, tandis que certains propriétaires, tout heureux de leur projet, s'apprêtaient à pendre la crémaillère, chez certains autres les excavations, les modifications, les extensions proliféraient allégrement.
 
On voyait toujours plus d'entreprises faire des allers-retours devant la maison, par mille plans échafaudée, des utilitaires avec des plaques minéralogiques du coin, puis de diverses régions. On vit même arriver des professionnels de l'étranger.
 
Alors que s'annonçait le premier hiver, la jeune femme et ses deux bambins disparurent, qui s'étaient mis ailleurs à couvert. Le maître de céans s'obstinait, pris puis licencia un architecte et un ingénieur. Puis deux autres, qui ne lui donnèrent pas satisfaction : il fit appel à d'autres gens plus compétents. 
 
Passèrent les mois et les saisons. A présent, le quartier s'est habitué à voir transiter fourgonnettes et camions. Le jeune commanditaire campe dans la maison où son épouse le rejoint, parfois, durant certains week-ends, avec les enfants qui grandissent gentiment. Le matin, on l'entend qui discute avec véhémence avec ses artisans, lesquels sont devenus chemin faisant et malgré divers changements, presque des amis, des compagnons. Dans le garage, dont on ne sait s'il est en train de se construire ou d'être totalement réaménagé, sont apparues une table et des chaises, et un four à micro-ondes destinés aux ouvriers. Et puis, des assiettes et des planches, pour plus de commodité. 
 
Les échafaudages font à présent partie du paysage. Les riverains qui commentaient se sont lassés de commenter. Il y a peut-être des projets dont la vocation est d'être éternellement élaborés. Des works in progress dont l'objectif est de toujours progresser. Seul plane un grand mystère : le chantier va-t-il un jour s'achever ?  
 

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