jeudi 9 février 2023

Regarder : avec la mer du Nord...

 
 La mer après l'orage / Léon Spilliaert / vers 1909
 
Quelle œuvre étrange, ai-je pensé, en parcourant l'exposition, et je me suis dit que si l'on ne m'y avait pas entraînée jamais je n'aurais été tentée de partir à sa découverte. Il est rare qu'un artiste puisse ainsi dans le même temps décontenancer et fasciner. Attirer et attrister. Subjuguer et - presque - déprimer.

Autodidacte, issu d'un milieu bourgeois d'Ostende, une ville qu'il n'a jamais vraiment quittée, Léon Spilliaert (1881-1946) ne cesse d'intriguer. Parcourant les salles qui font la part belle à ses œuvres de jeunesse (datant des années 1910 environ) on est saisie par sa manière déconcertante de cadrer ses sujets, très innovante pour la période. On se dit qu'il est jeune, même pas trente ans, qu'il va basculer vers l'abstraction, mais ce n'est pas le cas.
 
 L'escalier / 1909
 
 La route royale et les dunes / 1909
 
Les Galeries royales d'Ostende / 1908
 
Ses peintures expriment une grande audace, cependant l'artiste ne semble jamais prêt à faire le pas. Il paraît confiné dans un univers bien particulier, à la géométrie très recherchée, à la palette le plus souvent sombre ou teintée de grisaille, dont les thèmes sont la mer, les arbres, des intérieurs silencieux et des natures mortes, ou encore des figures féminines, femmes de marin plongées dans l'attente ou mondaines hautaines. Et puis surtout, ce qui frappe chez Léon Spilliaert, ce sont ses autoportraits. D'innombrables autoportraits qui le représentent rarement serein, toujours sérieux, voire tourmenté pour ne pas dire halluciné.
 
Autoportrait aux masques / 1903
 
 
Autoportrait / 1906
 
 
Autoportrait. 2 novembre / 1908
 
Bon nombre de peintures étant exécutées sur papier, lavis à l'encre de Chine, crayon et aquarelle, très sensibles à la lumière, elles exigent d'être exposées dans la pénombre. Les parois de la fondation ont été obscurcies, ce qui contribue à ajouter un sentiment de pesanteur lorsque l'on évolue dans ces espaces.

Flacons / 1909
 
Flacon rouge / 1909
 


Plus tard dans la journée, nous avons encore évoqué à plusieurs reprises ces images, en nous interrogeant, en émettant des avis mitigés, oscillant entre l'admiration, la curiosité et une irrépressible répulsion. Nous nous sommes demandé : pourquoi et comment a-t-il pu rendre des vases et des poupées inquiétantes ? D'où provient notre sentiment  de malaise ? Nous avons hésité, comparant nos photographies et observant attentivement le résultat de nos cadrages. Finalement, une seule option s'est présentée : nous devions y retourner pour regarder encore, regarder mieux et tenter d'apprivoiser cet artiste maladif et tourmenté, comprendre ce monde perturbant, si particulier qu'il avait créé.
 
(PS : Une fois rentrée, j'ai appris qu'Eva Bester, animatrice enjouée de L'Embellie, a consacré un essai à cet artiste, intitulé : Léon Spilliaert. Oeuvre au noir, éditions Autrement, 2020. Trouverait-elle dans ces peintures impressionnantes un remède à sa mélancolie ?)



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