J'adore nos balades du matin. Nous arrivons toujours là-haut avec le sentiment d'être les premiers (ce qui signifie ignorer que les chevreuils, les renards, les busards sont déjà sur le pont depuis les premières lueurs, sans compter les veaux avec leurs mères, toujours sur la défensive, toujours prêtes à mugir). Sans présence humaine, sans phares, ou si peu, pour nous rappeler toute trace de civilisation, nous nous sentons immergés dans la nature. Nous sommes la nature. Comment croire à une quelconque séparation ? Quand il a plu durant la nuit, je me penche pour sauver quelque vers de terre en détresse sur la chaussée. En arrivant parfois à la der des ders (le lombric semble déjà rigide, desséché, mais sur ma paume tiède il reprend à se tortiller) je me sens parfaitement appartenir à ce monde, un monde d'avant la course, la course folle, la course au rendement, contre le temps, en cette période d'apprivoisement des bovidés (qui doivent s'habituer à notre présence, comprendre que jamais on n'entrera dans leur domaine, jamais on ne se permettrait de nuire à leur progéniture) je respire à pleins poumons un air que la ville ne connaît pas, senteurs de humus, de putréfaction, d'herbes mouillées, de marrons et de glands éclatés. Les arbres pleurent leurs larmes rousses, danse-voltige des feuilles qui improvisent. Je siffle le chien. Je tends l'oreille, je guette, à l'affut de l'inattendu. Je respire encore. Je suis bien.

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