Il y avait, chez Vania, des espaces extraordinaires, où l'on trouvait une paix rare, assez mystérieuse. Elle avait disposé dans son jardin, qui tenait à la fois du potager, du pré et du parc, des espaces voués à la détente - comme ces merveilleux divans où l'on pouvait s'étendre et se mettre à rêver de curieux rêves, imprégnés de suggestions et de phrases, on aurait voulu aller chercher un cahier à la va-vite pour les attraper au vol, mais quelque chose de plus fort que soi vous retenait allongée, sous l'emprise d'un bien-être utérin - on y trouvait aussi une cuisine de plein-air dont on ignorait la capacité réelle à tenir son rôle de cuisine, mais qui en avait tout l'air.
Il y avait un bassin avec des grenouilles qui faisaient de gros "ploufs" à mesure que l'on s'approchait. Quand vous vous retrouviez à deux mètres du bassin, après le cinquième plouf, un silence profond s'installait et pas une ridule ne troublait la surface de l'eau. Il y avait aussi de petits bancs, disposés ça et là. Des tables surmontées de paniers en osier contenant des pommes et des kakis. Et un puits couvert qui s'était mis depuis longtemps au vert dans ce lieu enchanteur.
Vania parlait peu. Des paroles au compte-goutte, juste pour dire qu'elle nous laissait toute liberté, qu'elle se trouvait quelque part "à l'arrière" si nous avions besoin d'elle. Nous n'avons jamais su précisément où se trouvait son refuge, ni comment il était. Mais la maîtresse des lieux veillait sans cesse à notre confort - un confort composé tout à la fois de fastueux petits-déjeuners, de gazouillis et de sérénité, agrémenté de petits dessins qu'elle avait encadrés dans les corridors, de grands cahiers déposés sur des planches avec des crayons couleur. Notre chambre abritait un ange et des roses et la lumière y tremblait au matin comme si elle n'osait entrer.
Je n'ai jamais aussi bien dormi que dans ces lits sur lesquels veillaient des lares remplis de bienveillance. J'y faisais des songes - éveillés ou pas - qui me ramenaient droit à l'enfance, des poudres de réminiscences qui se dissipaient d'instant en instant. Je n'ai jamais compris à quoi tenait la sérénité de ces lieux. Un matin, j'ai interrogé Vania à propos de l'histoire de la maison, mais mes questions et ses réponses n'ont pas permis d'élucider le mystère de la main secrète protégeant ces lieux. Elle avait racheté la demeure en ruine à un couple d'étrangers - lui, Américain, elle, Chinoise - qui avaient renoncé à venir s'y installer. Auparavant, la vieille bâtisse campagnarde étaient restée inoccupée pendant près de quarante ans, servant de remise aux paysans voisins. Un jour, un vieil homme était arrivé les yeux pleins de larmes : il venait là enfant passer ses vacances chez ses grands-parents et cela avait éveillé chez lui des souvenirs en abondance. Vania, la maison et le jardin restent toutefois des énigmes, des énigmes distillant un infini apaisement.
Un jour, vers huit heures, nous avons fait nos bagages. A contre-corps, à contre-élan. Quitter un tel abri relève presque de l'arrachement.
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