mercredi 26 juin 2024

Vivre : oser la nouveauté

 
La Reggia / Galleria Grande / Venaria

L'audace du bonheur : laisser l'imprévu surgir

mardi 25 juin 2024

Voir/Lire : familles qu'on haime

 

- En ce moment, y'a rien qui.. c'est comme si j'étais dans ... 

- Dans une autre dimension ? Moi j'appelle ça "la dimension tragique".

- J'ai l'impression que je peux en parler à personne, parce que les gens me disent : ça va passer. Mais je sens bien que ça passe pas.

Ma sœur, elle appelle ça "mes petites angoisses".

- Y a des gens qui sont mal à l'aise avec la dépression des autres.
- Mais je préfère : "la dimension tragique".

- Ça sonne mieux, hein ?
(petit dialogue entre Juliette et Polux en début de film)
Les salles dignes de ce nom se trouvent juste en face, de l'autre côté du lac, mais ces derniers temps elles ont proposé peu de films suffisamment intéressants pour justifier les 70 bornes aller-retour. De Camille Jourdy, j'avais apprécié la trilogie "Rosalie Blum". Je me souviens l'avoir beaucoup offerte. Quand l'adaptation cinématographique est sortie, je l'ai trouvée à la hauteur (avec entre autres Noémie Lvovsky, parfaite incarnation de Rosalie).
Par la suite, je me suis ruée sur la bd Juliette. Les fantômes reviennent au printemps,  et là, grosse déception. Je n'avais pas pu entrer dans le bouquin. Je l'avais oublié très vite quelque part. Ce n'était peut-être pas le bon moment, ni la bonne histoire (une jeune femme dans le creux de la vague quitte Paris pour aller passer quelques jours dans sa famille en province). Je suis donc partie voir ce Juliette-ci avec quelques hésitations, mais elles se sont très vite dissipées : le film s'est révélé très subtil dans l'art de traiter des thèmes graves avec légèreté. Poétique, inventif, porté par d'excellents acteurs, il est tellement attachant qu'il m'a donné l'envie de retourner au roman graphique pour lui laisser une seconde chance. Comme quoi, les adaptations peuvent servir à mettre en valeur les œuvres originales.

Au Book Club, la semaine dernière, Camille Jourdy et la cinéaste Blandine Renoir étaient invitées à expliquer leur travail. Une occasion de parler des familles et de leurs tables de fête, de la dépression en tant que "dimension tragique" de la vie, des hommes qui vont piano piano, d'amants courant nus au fond d'un jardin et des animaux en tant qu'indispensables protagonistes du septième art. Une occasion aussi de mettre en lumière les mécanismes de la création, des collaborations et des adaptations. Passer d'un medium à un autre signifie forcément réinterpréter, traduire dans un autre langage, poser son empreinte sans trahir. L'autrice du roman graphique et la cinéaste se sont retrouvées pour élaborer la touche finale du scénario. On apprend aussi que c'est la main de Camille Jourdy qu'on voit quand l'héroïne - présentée comme un dessinatrice dans le film et interprétée par Izïa Higelin - se met à croquer son entourage.

Le résultat : une œuvre tout public sans être mièvre, évoquant les grisailles de la vie tout en étant multicolore, très réaliste avec une grande part d'enfance et d'imaginaire, invitant chacun à ne craindre ni ses passages à vide ni l'exploration de ses fonds de placard. Un film qu'on aimera revoir.

lundi 24 juin 2024

Voyager : une vie en ocre

 


parfois ce qui motive à partir, c'est juste le besoin d'autres couleurs

dimanche 23 juin 2024

Vivre : bâtir son futur

 
Biennale d'architecture 2018 / Venise /  Peut-être Dreams and Promises / Peter Zumthor / pas sûr à §00%
 
 
Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l'homme, mais pas assez pour assouvir son avidité. 
Gandhi 


Deux rendez-vous en ville - une ville assez grande pour abriter pas mal de services et de sociétés - et, d'emblée, l'immobilier avec son insatiable avidité nous a sauté aux yeux. A l'arrivée, longeant l'autoroute, des alignements de barres - on croirait des cercueils - aucun balcon, de la grisaille, et de longues séries de carrés (d'un mètre sur un mètre) faisant office de fenêtres. On affiche sur des panneaux promotionnels que ces habitats d'une tristesse à pleurer sont verts et durables (ventilés aux moyens de monoblocs double flux pour les bâtiments proches des voies de chemin de fer et du trafic routier, nous explique-t-on, toitures végétalisées, équipées de panneaux photovoltaïques, ajoute-t-on pour nous rassurer). Les enfants qui devront y habiter apprendront ce qu'est un arbre à l'école, dans des manuels de biologie ou des albums à colorier. 
Si l'audace et la créativité font défaut dans les constructions destinées à ceux qui ont un besoin impératif de se loger, il est impressionnant de constater combien on y recourt quand il s'agit de rentabiliser. Certains se livrent à mille inventions pourvu que ça rapporte du pognon. Les chasseurs d'appartements prolifèrent. Des logements aménagés dans des sous-sol, à ras le bitume et les particules fines, seront vendus trois fois leur valeur et trouveront assurément preneur (comme dit mon amie M. "il y aura toujours un con quelque part d'accord pour payer trop cher").
En l'espace de deux heures, on sent combien la ville stresse. La ville épuise. La ville suce les énergies. La ville exsude le profit. Chercher, investiguer, se dépêcher, se placer, se dépenser pour trouver à se caser. Les gens sont-ils moins avides à la campagne ? Pas sûr du tout, mais ici on a quelques garde-fous : la nature impose son tempo, l'éloignement exige un ralenti. Moins de tentations, moins de sollicitations à dépenser, des traditions plus difficiles à évincer. 
En rentrant au village, on est frappé par le contraste : on passe devant une ancienne école en train d'être rénovée. Le moment venu, la belle bâtisse offrira de lumineux appartements. On l'admire et on se demande qui seront les plus privilégiés : les occupants du rez avec accès direct au verger, ceux qui seront logés sous les combles, avec vue sur les rives souveraines, ou les locataires du premier dont les fenêtres seront chatouillées par des arbres centenaires. Pour la remettre en état, les artisans ont pris et continuent de prendre tout le temps nécessaire. Procédant par étapes, ils semblent avancer à la mesure des fonds à disposition, veillant à poser des panneaux solaires, à souligner ses ouvertures d'un beau jaune mordoré, à restaurer l'escalier en pierre qu'une glycine rêve de squatter. 
Cette maison a depuis toujours une âme et du caractère. Elle n'est en rien un objet et ce qu'on y investit, c'est surtout de l'énergie. Ceux qui voudraient l'occuper ne seront pas mis en boîte, mais devront patienter, attendre que la belle soit prête à leur offrir hospitalité. Entre elle et ses futurs locataires se tissera un lien d'estime et de respect. Donner du temps au temps. Désirer. Imaginer. Laisser venir. Cultiver l'art de se réjouir.
Tandis qu'en ville le temps presse et les loyers s'emballent - se faire de l'or en barre, bel idéal - le chantier voisin oppose une tranquille résistance, s'achemine doucement mais fermement vers son achèvement. On se prend à rêver : que chacun ait droit à un habitat, mais pas n'importe quoi, pas n'importe comment, pas en méprisant les êtres et les espaces, pas en visant toujours plus d'argent en toujours moins de temps.
 

 

samedi 22 juin 2024

Vivre : cinétoile

 

 
dieux du ciel! me suis-je exclamée tandis que le troisième épisode de notre polar se terminait et que dehors la poursuite se prolongeait


vendredi 21 juin 2024

Vivre : et n'oublie pas que tu t'aimes

 
Petites statues "tanagrines" / Nécropole de l'Altopiano di Manuzza / Musée d'Archéologie / Palerme

 
La rancune : se faire du tort après qu'on nous a fait du mal
 
 

jeudi 20 juin 2024

Vivre : haka

 
Antea / Parmigianino / reproduction décorative / escalier de la Reggia

La peur : n'existe que dans ton regard, n'a de pouvoir qu'avec ton accord


mercredi 19 juin 2024

Voyager : Venaria, borgo antico

 

A G : Le Borgo antico, formant un carré, avec la piazza SS Annunziata au centre / A D : la piazza en premier plan (reproductions fin XVIIe s.)

J'avais réservé une chambre aux abords de la Reggia. Je craignais au départ que les soirées y fussent trop silencieuses, menacées d'une monotonie pesante après la fermeture du palais. J'avais tort.

Vers dix-sept heures, la via Mensa, la longue rue principale appelée à l'origine via Maestra, changeait peu à peu ses couleurs. Tandis que les derniers visiteurs s'éloignaient à pas lents, enivrés de belles images, épuisés par leurs incursions à travers allées et couloirs, les premiers résidents locaux s'attablaient devant leurs Campari aux nombreuses terrasses agglutinées le long des trottoirs. Des enfants vifs comme de jeunes chats piochaient des chips dans les coupelles, puis s'acharnaient en hurlant sur leurs ballons de football, on aurait dit des joueurs se qualifiant pour une finale. Le Borgo s'animait, rassemblait ses habitants, à grands coups de saluts, de cris et d'interjections. Plus question de guides ni de culture, de groupes ni de dépliants. Une activité de quartier, des solidarités quasi villageoises prenaient vie dans l'ancien bourg commandé autour de 1670 par Charles Emmanuel II à son architecte, Amedeo de Castellamonte, afin d'enjoliver l'entrée monumentale de sa résidence.

Curieux contraste en fin de journée : le Borgo assumait une vie de faubourg populaire, loin des lignes et des lignées. Une femme traversait en souriant, qui avait récupéré un colis après une longue journée de labeur. Des artisans se concertaient à propos de bricoles. Les retraités entamaient leur troisième balade de la journée entraînés par leurs chiens délaissés. Les marchands de glaces reprenaient du service pour la soirée. Des Siciliens ridés, alignés sur des chaises en plastique diluaient leur mélancolie avec des mélodies traditionnelles déversées par un vieux transistor. Ils considéraient rêveusement les pavés comme s'ils étaient rappelés à leur terre natale. Leurs yeux hagards retrouvaient peut-être des visions de maigres lopins quittés, des sueurs trouvées au Nord, avec leurs salaires de misère. 
 
Les vitrines exhibaient toutes sortes de chinoiseries, pantalons de strass, sacs en skai, souvenirs et cafetières fleuries. On aurait voulu entrer, chercher, dénicher la moindre pacotille, mais on n'avait aucun besoin de toutes ces bimbeloteries. La place de la Santissima Annunziata, conçue en exèdre, avec deux églises jumelles qui se faisaient face, exhibait de beaux restes, mais personne à cette heure vespérale ne paraissait s'en soucier. C'était touchant, toute cette noble décadence, ces portiques ouverts sur des façades décrépies, ces stores misérables cachant mal le désir de partir s'installer loin de ces vieilleries.

Puis, huit coups sonnaient en carillon. L'heure était venue de laisser la via, sa vitalité à ses occupants très occupés. Nous nous dirigions vers un endroit somptueux, nous prenions de la hauteur pour aller savourer toutes sortes de merveilles face au spectacle bleuté d'une ville qui ne parvient jamais à trouver le sommeil.

Piazza Ss Annunnziata / Tiré du site de la ville de Venaria


mardi 18 juin 2024

Voyager : petit Versailles et grands espaces

 
Libellule / Hilario Isola
 
Avant l'exposition, nous avons commencé par visiter les jardins. L'orage annoncé semblait avoir découragé de potentiels visiteurs mais épargné par bonheur ce coin du Piémont. L'air était doux, une brise légère invitait à la promenade. Des installations éphémères côtoyaient des sculptures séculaires. D'étranges insectes immobiles se répandaient sur les murs et dans les airs. Le temps semblait suspendu quelque part entre cadre royal et des horizons montagnards. Sous nos pas, le gravier se faisait murmure. Les oiseaux chantaient en mode mineur tandis que quelques jardiniers maniaient avec délicatesse leurs sécateurs. On évoluait dans un monde hors du monde, même si, tendant l'oreille, on percevait les bruissements de l'autoroute au loin.

 
 Ispiration / Roy F. Staab
 
 Sguardo verso la Reggia / Maria Cecilia Serafino / 2023
 
 Movement / Berit Skotjgaard Laursen
 
 
 
 
 La Reggia depuis la perspective Est
 
Tout paraissait imposant, immense (comme les intérieurs que nous verrions un peu plus tard). Dans une sublime folie des grandeurs, les ducs de Savoie semblaient au XVIIIe déjà se vouloir imposants soleils et souverains. Tout respirait le calme et l'équilibre au cœur du cœur d'une modeste banlieue turinoise. Nous nous sommes retrouvés face à la grotte commandée par Charles Emmanuel II à l'architecte Amedeo di Collamonte aux environs de 1760 pour embellir ses jardins.
 

Dessin G.T. Borgogno / 1682

Dessin G.F. Baroncelli / 1679

Devant la grotte
 
La Mantide / Hilario Isola / Cascina Medici del Vascello
 
Plus loin, dans ce parc qui semblait conduire jusqu'aux cimes des Alpes, une mante géante dominant le potager royal nous invitait à nous mettre définitivement au vert,  nous indiquait avec détermination la direction à prendre. Marche arrière ! Revenez sur vos pas ! Comment pouvez-vous ne pas comprendre ? Nous avons ralenti devant les sages injonctions de ce Green Art parsemé sur les espaces, puis, ayant embrassé Dziki du regard, nous avons dirigé nos pas silencieux vers d'autres œuvres monumentales.

Dziki / Rodolfo Liprandi



lundi 17 juin 2024

Voyager : une autre focale

 
Vue de Naples depuis Capodimonte (détail) / Alexandre-Hyacinte Dunouy / Museo Capodimonte / Napoli
 
 
Voyager : une manière de se dire qu'on peut aussi être différent
 

dimanche 16 juin 2024

Vivre : libre à nous

 
Statue de Pendua et de sa femme Nefertari / Nouveau Règne / XIXe dynastie / Museo Egizio / Turin
 
Chaque année c'est pareil. Il fait beau et je me sens légère. J'ouvre les yeux et j'admire le monde. Je suis contente d'être de la partie. Je remercie le ciel de pouvoir compter une à une ses étoiles et je tends la main pour caresser les nuages. Je cueille quelques fleurs des champs. J'inspire, j'expire. La vie me paraît magnanime. Il y a tous ces cadeaux qu'elle a bien voulu me donner. Il y a les oiseaux, la magie du vent et de la lumière, le gâteau sur la table qui attend d'être tranché. Il m'avait demandé : qu'est-ce qui te ferait plaisir pour ton anniversaire ? Je lui ai répondu : juste 4'000 ans. 



 Statue cube du "père divin "Djedkhonsurluefanck" / Troisième période intermédiaire
 
 
 Entrée de la chapelle de la mastaba de Sepedhotep
 
 
 
Ça passe vite, 4'000 ans d'histoire. A treize heures, nous étions dehors. Le soleil brillait. La ville nous souriait. Main dans la main, les yeux écarquillés, on est allés d'aventure en aventure. Le temps nous déroulait un tapis de surprises et de chocolat. Les chats jouaient les concierges stylés, tandis que les lions souriaient pour l'éternité. L'existence se déroulait dans toute sa densité. La vie est une fête. Il n'en tient qu'à nous : une fête. Il y a des jours comme ça où la fête est encore plus éclatante simplement parce qu'on voit tourner le carrousel et qu'on n'hésite pas à monter.


mercredi 12 juin 2024

Vivre : imiter les fleurs

 
Couple / 2004 (détail) / Cecily Brown / Musée Louisiana / 2018

toujours toujours se tourner vers la lumière...

mardi 11 juin 2024

Vivre : still life / 147

 


Éberluée par la quantité de contenants jetables qu'on nous remet de plus en plus souvent,  moyennement convaincue par la nécessité de ces emballages prétendument verts et récupérables, méditative devant l'abandon progressif des services et couverts de longue durée, je me demande si ces nouvelles formes de consommation aux vertus affichées ne comportent pas surtout des coûts cachés.
Haro sur le plastique, oui, sur le plastique que l'on jette, qui pollue la planète. Mais le plastique qu'on possède depuis belle lurette autant le garder et l'utiliser avec simplicité et créativité.
Cette vieille boîte est doublement verte. Quand son système de fermeture s'est cassé (ô calamité de l'obsolescence programmée!) il n'a pas été question de la jeter. Elle devait durer. Grâce à un bête élastique jaune, la voilà prête à assumer son rôle de boîte à goûters, sans emballages éco-pas-très-logiques, bambou, bois, papiers, respectueux de l'environnement (hmm...) fabriqués avec des matériaux de provenance incertaine et qui servent dix secondes avant d'être bazardés. Tendue à la boulangère, emmenée sur les marchés, serviable de manière renouvelable, elle m'a définitivement emballée.
 

lundi 10 juin 2024

Vivre : la nature des émotions

 

 
et pourquoi donc le ciel se montre-t-il si grincheux ? si mal luné ? 
(et même : pas du tout luné, avec ces couches de nuages accumulés) 
quels sont donc les tourments qui l'agitent et le laissent désemparé ? 
vaillamment les merles s'animent, les fleurs embaument, les cerisiers s'allument.
obstinément nous parcourons la campagne, le visage en sueur, le cœur chaviré.
nous traversons des journées embrumées, qui nous laissent désorientés. Lessivés.
 

dimanche 9 juin 2024

Vivre : sposa son disprezzata

 

Le soir tombe. Il n'en finit pas de tomber.

Le jour s'incruste. Il ne veut pas lâcher.

C'est vendredi. La nuit patiente. Demain ce sera congé.


Le ciel s'enchante. Le film s'achève et Cecilia entame
l'air des grands regrets.
 

 

samedi 8 juin 2024

Vivre : va où le coeur te porte

 
vue de l'église Ognisanti / Rome / F.M. Granet / Musée Granet / Aix-en Pce

De plus en plus sensible à l'esprit des lieux, je ne cesse de m'interroger : de quoi est-il donc composé ? qu'est-ce qui fait que certains lieux sont uniques, en ayant toutefois la capacité de rappeler d'autres espaces, en d'autres temps ?à quoi tiennent ces attractions ? ces lieux pas communs du tout qu'ont-il donc en commun ? quels mystères se cachent-ils derrière des rappels apparemment anodins? 

***

Quand j'arrive dans un endroit, d'où provient la sensation que je m'y sens immédiatement chez moi et, à l'inverse, qu'est-ce qui peut provoquer dans mes viscères une hésitation, une opposition, voire une profonde répulsion ? Mon sentiment d'avoir trouvé un abri sûr tient-il à l'air, à la lumière, aux souffles et aux vents qui balaient l'atmosphère ? Quel rôle les bâtisses jouent-elles, avec leur histoire, leurs pierres, leurs éclats ? Leurs présences, humaines ou végétales, leur accueillance ou leurs grillages ? et tous les êtres qui les ont traversés au fil des années, ces espaces, quelle empreinte y ont-ils laissée ?
 
***
 
Je ne cesse de rêver de maisons. Parfois, elles sont sublimes, vaguement connues, mais comme ce sont des maisons de rêve, elles s'ouvrent sur une infinité de pièces et offrent quantité d'aménagements possibles, invitant à de multiples créations. Des mondes imaginaires pour une existence tout sauf ordinaire. Parfois, en revanche, ces habitats sont des espaces étroits, mal isolés et encombrés, des lieux de passage où trop de monde peut mettre les pieds. (Ces rêves-là me laissent au petit matin en sueur et je n'ai d'autre recours pour soulager mes palpitations que de parcourir à pas légers la maison enchanteresse qu'il m'est donné d'occuper.)

***
 
Cette fois-ci, la saison touristique ayant explosé, la chambre rouge n'était pas disponible. Nous nous sommes dirigés vers une autre, mitoyenne, mais pour y parvenir, nous avons suivi un autre couloir, grimpé un autre escalier, plus raide et qui grinçait, et quand nous avons poussé la porte nous avons senti la chambre nouvelle qui nous enveloppait avec sa manière bien à elle, d'une façon rassurante et maternelle. Nous étions tout prêts à reconnaître ses nombreux attraits : sa large salle de bain aux carrelages immaculés, le vaste miroir à trois faces aux rebords argentés, la commode chinoise laquée et l'armoire encastrée en noble noyer (au-dessus de l'armoire, détail curieux, un vase vintage orange éclatant complétait une série d'aquarelles sépia). Mais la chambre rouge apaisant nous a manqué (l'idée que quelqu'un d'autre ait pu l'occuper m'a remplie d'un sentiment très fort et très puéril d'abandon et j'ai réalisé que vivre implique incessamment de se raisonner, car il est vain de tenter d'expliquer à une réceptionniste occupée à gérer de manière rationnelle un hôtel affichant complet qu'on peut aimer une chambre comme un animal, comme un livre, comme une présence amicale). 
 
 ***
 
La jeune femme officiant à l'entrée dans ce petit établissement foisonnant de mille détails attendrissants  participe au sentiment de se retrouver dans un cocon. A force de séjours et malgré sa discrétion, nous avons appris deux ou trois choses sur elle : qu'elle partage sa vie avec un chat de dix-sept ans, qu'elle s'est trouvé un logement avec vue sur la chartreuse et que le vert est la couleur qu'elle préfère. On pourrait dire d'elle qu'il s'agit d'une personne des plus banales, une de ces personnes qu'on croiserait sans la voir sur un trottoir. Mais il y a des choses très frappantes chez elle : elle affiche en toute circonstance un calme olympien, une manière d'être tempérée qui n'exclut nullement les nuances. On peut toujours sentir à un demi-ton près ce qui va et ce qui ne va pas, ce qu'elle peut et ce qu'elle ne peut pas. Mais quoi qu'il en soit, avec qui que ce soit, elle traitera toujours ses interlocuteurs de la même manière : derrière une vitre de savoir-être et de savoir-faire. Cette pondération qui est la sienne, fait entièrement partie du lieu où elle travaille, où tout est géré avec légèreté et doigté, liés à une élégance dénuée de la moindre affectation. L'art de l'accueil, comme tout art, ne doit pas se voir, à peine se sentir. 

***
 
On traverse le salon, on se sert de thé vert, on admire divers tableaux en exposition et on comprend que cet endroit hors du commun est habité par un génie. Genius loci, disaient les Romains. C'est absolument certain : un petit dieu protecteur descendu sur terre veille ici sur les voyageurs, prodigue sourires et douceurs, ne cesse de leur offrir avec mille égards de fines particules de bonheur. 


vendredi 7 juin 2024

Vivre : les murs, le fleuve, le Palais

 
ciel de Vaucluse / Nicolas de Stael / collection privée

Le fleuve se la coulait douce dans la lumière rasante du soir.
Les voitures au pas, les passants au ralenti, une péniche alanguie.  
Soudain, les murs, déployés à l'infini. Et le Palais, son éclat. 
Le temps s'est figé. Il devait absolument marquer un arrêt,
faire révérence devant l'évidence d'un pur moment de joie.


jeudi 6 juin 2024

Lire : et pourquoi pas l'Éden ?

 
 
L'islandais est une langue flexionnelle ayant quatre cas : nominatif, accusatif, datif et génitif. Les noms islandais peuvent avoir un des trois genres grammaticaux : masculin, féminin ou neutre. Les adjectifs, les chiffres jusqu'à quatre et les pronoms sont déclinés aux quatre cas, aux deux nombres et aux trois genres.
La principale difficulté de l'islandais réside dans le fait que certaines voyelles sont affectées par leur entourage lors des déclinaisons et des conjugaisons. Il existe également un certain nombre de mots à déclinaisons irrégulières (on dénombre plus de 70 paradigmes différents) et un mot ne laisse souvent deviner ni son genre ni le paradigme auquel il appartient.  [Extrait de la page Wikipedia en français sur la langue islandaise]
 
Auður Ava Ólafsdóttir a confié récemment au Book Club qu'avec ce roman elle a voulu donner une petite leçon d'islandais, "une langue ancienne assez difficile, assez compliquée et c'est la plus vieille langue encore parlée en Europe".  A peine avais-je terminé ce petit bijou de livre, que je me suis mise à le relire, en boucle, tellement il m'avait passionnée. Non seulement, l'autrice m'avait offert un minuscule aperçu de sa langue maternelle, mais elle m'avait insufflé l'envie d'en apprendre davantage.
 
 Il peut m'arriver, au milieu d'une conversation, de perdre le fil parce que mon esprit s'arrête sur un mot qui vient d'être prononcé. Je me mets alors aussitôt à penser à la manière dont le mot se décline, à sa racine et à ses dérivés. Parfois, les répliques d'une conversation s'alignent dans ma tête, tel un texte sur une feuille, comme des épreuves à corriger. 
- Tu n'arrêtes jamais de travailler, dit ma sœur Betty. [p.51]
 
Comment résumer Éden ? A travers l'histoire d'une femme en pleine crise de la quarantaine, professeur de linguistique et correctrice, habitée par les mots au point qu'elle y trouve le sens de toute chose, l'autrice dresse trois portraits : un beau personnage de femme (une protagoniste comme on les aime, libre, originale, remplie d'énergie vitale); une esquisse savoureuse de la vie sociale en Islande; une radiographie de la crise climatique vécue dans son île. 
En rentrant à Reykjavík, je ne peux m'empêcher de penser qu'il est quand même étrange que l'échelle des vents de l'Institut de météorologie se base sur l'effet qu'ils produisent sur les arbres alors que notre île en est pour ainsi dire dépourvue.

Andvari (brise) : Les feuilles bruissent.
Gola (vent léger) : Les feuilles et les petites branches tremblent.
Stinnigsgola (brise modérée) : Les petites branches bougent.
Kaldi (brise fraîche) : Les arbustes se courbent.
Stinningskaldi (vent glacial) : Les grosses branches ploient.
Allhvass vindur (vent violent) : Les grands arbres se courbent et sont malmenés. 
Hvassviðri (grand vent) : Les branches cassent.
Stormur (tempête) : Les arbres se brisent.
Rok (tempête par rafales) : Les arbres sont arrachés avec leurs racines.
Fárviðri (ouragan) : Tout ce qui n'est pas fixé s'envole. [p.96]
Avec Auður Ólafsdóttir la lucidité va toujours de pair avec un optimisme pragmatique. Ce n'est pas parce qu'un promoteur veut racheter une rivière en spéculant sur le besoin mondial de glaçons dans les prochaines années qu'il faut désespérer. Ce n'est pas parce qu'on dépense en avion l'équivalent de cinq mille six cent arbres pour se rendre à des colloques sur les langues minoritaires et pour représenter son pays à la commission sur les mesures urgentes qui s'imposent pour préserver et ressusciter les langues à l'agonie de l'UNESCO qu'il faut baisser les bras. Alba va racheter un terrain de 22 hectares à une autrice de polars à succès et se mettre à le boiser avec détermination.
 
Ce n'est pas non plus parce que des réfugiés débarquent sur un rocher noir aux confins du monde qu'ils n'ont pas d'avenir et qu'ils ne pourront pas y faire leur place. 
 Je lui demande comment se passe son adaptation et je le regrette aussitôt. En même temps que le mot aðlögun - adaptation -, un autre terme qui n'a rien à voir me traverse l'esprit : aflögun, signifiant déformation. Une seule lettre de différence. Il me dit qu'il prend le car une fois par semaine pour aller à Reykjavik  consulter le psychologue de la Croix-Rouge parce qu'on lui a diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique.[...]
Je me tiens à côté d'un jeune homme qui a traversé un océan blanc d'écume et va une fois par semaine consulter un psychologue pour parler de ce qu'on ressent quand on a survécu à des événements qui mettre votre âme en péril mortel. Il ne veut pas voir la mer à sa fenêtre, il veut être loin des vagues, des cris des oiseaux marins en quête de pitance et ne s'intéresse pas à cette immensité bouillonnante et salée qui ne prend fin qu'à l'horizon.[p.93]

Alors que des images hallucinantes du volcan Sundhnúkur en éruption déferlent en ce moment sur nos écrans, ce livre sur fond de changements climatiques et d'anéantissements progressifs (idiomes, espèces, végétations) se révèle d'autant plus passionnant. Si on apprécie cette écrivaine, c'est qu'il n'y a pas une once de sentimentalisme chez elle, pas de lamentos, ni de défaitisme. Seulement une saine vision des choses appelant à agir sans délai pour défendre le coin de terre et les valeurs qui lui sont propres. Et l'humour, bien sûr, un humour tendre non dépourvu d'autodérision portant sur le petit monde des lettres islandais, sur la vie privée qui ne saurait jamais être privée dans de si petites communautés, sur les histoires d'amour toujours nécessaires et toujours bancales.
Activités qui échappent aux règles du langage
 
Marcher dans la nature.
Travailler dans le jardin.
Biner les rangs de pommes de terre.
Respirer. 
Regarder le ciel au-dessus de la montagne.
Écouter les oiseaux.
Le sexe. [p.177]
Pour terminer, je ne résiste pas à la tentation de citer quelques titres de chapitres, des sections brèves, portées par un style vif et enjoué. Auður Ólafsdóttir a une manière bien à elle de parler des choses graves de manière légère.

Il meurt une langue tous les vendredis // Un sentier que creuse le passage des moutons est l'étroit chemin vers la perfection // l'Homme est en quête d'une planète de rechange // Les amitiés opportunistes // Le ciel est descendu jusque sur terre // Icecube Holding // Un oiseau a besoin d'air sous ses ailes pour voler // ...


 

mercredi 5 juin 2024

Vivre : inconsistante sucrerie

 
La reine douairière Juliane Marie / Vigilius Eriksen / SMK / Copenhague
 
 
"Elle confond gentillesse et mièvrerie."
En cinq mots, elle l'avait décrite. 
B. a toujours eu le don des raccourcis.
 

mardi 4 juin 2024

Vivre : la vie rêvée des marges

 
Atalante et Hippomène / Guido Reni / Museo Capodimonte / Napoli
 
 
Qui ne rêve d'harmonie ? Se mouvoir au bon rythme, avancer sans saccades, se diriger d'un bon pas là où l'on doit. Qui ne rêve d'une vie où l'équilibre prend le dessus sur toutes les invitations à courir émergeant de toutes parts ? Ce n'est pas tant la vitesse qui perturbe que cette insupportable adhésion à n'importe quelle accélération. Cette hâte de courir pour se retrouver à découvrir sur un écran des tonnes et des tonnes d'informations qui n'auront pas plus d'importance sur nos vies qu'un papier chiffonné jeté au fond d'une déchetterie. Pauvres de nous, rêveurs en quête d'harmonie et qui nous dépêchons, qui nous dépêchons, qui nous dépêchons à l'infini.

 

lundi 3 juin 2024

Vivre : R.

 
Young Girl in a Forest /Bertha Wegmann / Fondation Hirschsprung / Copenhague
 
Elle fait plus jeune que son âge. Par moments, quand elle se tourne vers la fenêtre, pensive, son visage assume les rondeurs de l'enfance, ses yeux gardent l'impact de l'innocence, avec en plus cette détermination qu'elle avait à trois ans quand elle se rebellait contre toutes sortes d'obligations.
Le temps a passé. Des gens se sont présentés et d'autres sont repartis. Des gens sont morts, peut-être un peu trop de morts dans sa vie. Elle s'est endurcie. Elle s'est assagie. Sa sagesse lui sert de carapace. Elle a appris à s'en servir. Elle assume avec courage tous les rôles de sa vie. Elle est devenue une adulte qui éduque, une professionnelle solidaire pourvoyeuse de salaire, une compagne, une confidente. Son regard s'est lérèrement terni, un voile de résignation s'est tendu entre elle et ses désirs. Certains appellent cela la vie. Où garde-t-elle l'enfant butée, ingérable, volontaire, qu'elle a été ? Lui arrive-t-il de la bercer, de s'en rappeler ? En la quittant, on ne sait pas pourquoi, on lui lance : ne perds pas de vue tes rêves. Ne laisse pas tomber la petite aux sourcils ébouriffés.

dimanche 2 juin 2024

Vivre : le tintinnabuli des gouttes sur les lattes

 
Beauty / 1993 / Olafur Eliasson / Palazzo Grassi / Firenze / 2022
 
 
Les gens râlent. Partout. Se plaignent du froid, de l'humidité, de la météo pourrie.
Mais tous les soirs au coucher ce sont des lendemains qui chantent qu'annonce la pluie.
 

samedi 1 juin 2024

Vivre : l'invitation au troisième millénaire

 
Le vase étrusque / Victor Etienne Symian / Musée Calvet / Avignon
 
Dire oui. Bien sûr. Comment avancer sans adhésion ? 
Mais pour pouvoir le dire, ce oui vraiment, amplement, 
il faut aussi savoir s'opposer, rejeter, dire résolument non
Avec la même force et les mêmes convictions : oui et non.