dimanche 30 juin 2024

Vivre : Avenio, matins d'été

 

 
Au matin, nous déboulions tôt en ville, et retrouvions, toujours incrédules, ses murs, son Palais, les créneaux, la lumière timide qui n'allait pas tarder à se désinhiber. Dans la fraîcheur des ruelles, nous croisions des maraîchers, des serveuses se hâtant d'aller travailler, des grand-mères accrochées à leur panier. Les madones veillaient sur l'apaisement des lieux. Les gens se saluaient d'un geste, un mot, rien de trop, tandis que les journaux et les restaus étaient livrés. Nous nous installions en terrasse pour siroter nos cafés, nos croissants trop gras faisaient des miettes dont les moineaux voyous s'emparaient.
 
 
Nous nous faufilions ensuite dans des coins et des recoins qu'on n'aurait su retrouver, étonnés d'être étonnés par des façades qu'on pensait connaître depuis des années. Peu à peu, on sentait monter les degrés, et l'agitation, et les camionnettes en livraison qu'un conducteur à l'arrière klaxonnait. L'un après l'autre, les magasins ouvraient, les rideaux remontaient, les tables se réarrangeaient. On profitait des derniers moments de paix que la ville nous octroyait. Bientôt, ce seraient les cars, et les explications en anglais, en polonais. Bientôt ce seraient les rayons qui allaient mordre les crânes  et les mollets. Bientôt ce serait une cité plutôt chaotique, plus dynamique, plus colorée, sillonnée par des petits trains ridicules qui faisaient sursauter les piétons et laissaient perplexes les chiens. Je me procurais des bricoles : le dentifrice que nous avions oublié, une reproduction esquissée à la plume, une tranche de flan pâtissier, une livre d'abricots à parfaite maturité. Je refilais ma monnaie à des SDF aux grands yeux défaits.
 
 
A mesure que l'heure tournait, une autre vie prenait place. Les bistrots plus ou moins classieux, plus ou moins crasseux offraient leurs menus à prix plus ou moins cassés. Les Nordiques exhibaient des jambes très blanches et très rouges, rouge devant et blanc sur les mollets. Les Anglophones bougeaient lentement leurs corps corpulents aux vêtements bariolés. Le festival s'affichait sur les murs décrépis, impulsait de l'adrénaline, suscitait de l'urgence dans divers corps de métiers. On entendait certains se plaindre, trop à faire, trop vite, trop tard, jamais on n'y arriverait. On y arriverait, bien sûr, et en attendant, les coups de marteau, les bruits de métaux et de scies circulaires retentissaient. La moiteur s'installait.
 


 
Au 10 de la rue du Roi René, depuis le premier étage de l'hôtel Fortia de Montréal, un drôle d'animal nous observait. Il paraissait goguenard tandis que les passants l'ignoraient. Depuis combien de temps se tenait-il là, à jouer les concierges mal lunées ? On aime cette ville, on éprouve le besoin d'y revenir pour tous les contrastes qui l'animent. Des palais fastueux qui s'écroulent, d'anciens monastères épuisés, des cloîtres rénovés, des églises baroques transformées en musées, de nobles pierres côtoyant la misère et la pauvreté. C'est une ville qui fouette, qui provoque, qui dérange, qui inclut et qui exclut, qui appelle, qui interroge (que les locations saisonnières menacent comme ailleurs d'étouffer) dans un curieux mélange d'élégance et de vulgarité. Une ville qui émeut. Qui émeut infiniment les visiteurs désireux de l'apprivoiser.
Et c'est émus que nous dirigions nos pas vers toutes les richesses qu'elle voudrait bien nous dévoiler au cours de la journée qui débutait.



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