samedi 8 juin 2024

Vivre : va où le coeur te porte

 
vue de l'église Ognisanti / Rome / F.M. Granet / Musée Granet / Aix-en Pce

De plus en plus sensible à l'esprit des lieux, je ne cesse de m'interroger : de quoi est-il donc composé ? qu'est-ce qui fait que certains lieux sont uniques, en ayant toutefois la capacité de rappeler d'autres espaces, en d'autres temps ?à quoi tiennent ces attractions ? ces lieux pas communs du tout qu'ont-il donc en commun ? quels mystères se cachent-ils derrière des rappels apparemment anodins? 

***

Quand j'arrive dans un endroit, d'où provient la sensation que je m'y sens immédiatement chez moi et, à l'inverse, qu'est-ce qui peut provoquer dans mes viscères une hésitation, une opposition, voire une profonde répulsion ? Mon sentiment d'avoir trouvé un abri sûr tient-il à l'air, à la lumière, aux souffles et aux vents qui balaient l'atmosphère ? Quel rôle les bâtisses jouent-elles, avec leur histoire, leurs pierres, leurs éclats ? Leurs présences, humaines ou végétales, leur accueillance ou leurs grillages ? et tous les êtres qui les ont traversés au fil des années, ces espaces, quelle empreinte y ont-ils laissée ?
 
***
 
Je ne cesse de rêver de maisons. Parfois, elles sont sublimes, vaguement connues, mais comme ce sont des maisons de rêve, elles s'ouvrent sur une infinité de pièces et offrent quantité d'aménagements possibles, invitant à de multiples créations. Des mondes imaginaires pour une existence tout sauf ordinaire. Parfois, en revanche, ces habitats sont des espaces étroits, mal isolés et encombrés, des lieux de passage où trop de monde peut mettre les pieds. (Ces rêves-là me laissent au petit matin en sueur et je n'ai d'autre recours pour soulager mes palpitations que de parcourir à pas légers la maison enchanteresse qu'il m'est donné d'occuper.)

***
 
Cette fois-ci, la saison touristique ayant explosé, la chambre rouge n'était pas disponible. Nous nous sommes dirigés vers une autre, mitoyenne, mais pour y parvenir, nous avons suivi un autre couloir, grimpé un autre escalier, plus raide et qui grinçait, et quand nous avons poussé la porte nous avons senti la chambre nouvelle qui nous enveloppait avec sa manière bien à elle, d'une façon rassurante et maternelle. Nous étions tout prêts à reconnaître ses nombreux attraits : sa large salle de bain aux carrelages immaculés, le vaste miroir à trois faces aux rebords argentés, la commode chinoise laquée et l'armoire encastrée en noble noyer (au-dessus de l'armoire, détail curieux, un vase vintage orange éclatant complétait une série d'aquarelles sépia). Mais la chambre rouge apaisant nous a manqué (l'idée que quelqu'un d'autre ait pu l'occuper m'a remplie d'un sentiment très fort et très puéril d'abandon et j'ai réalisé que vivre implique incessamment de se raisonner, car il est vain de tenter d'expliquer à une réceptionniste occupée à gérer de manière rationnelle un hôtel affichant complet qu'on peut aimer une chambre comme un animal, comme un livre, comme une présence amicale). 
 
 ***
 
La jeune femme officiant à l'entrée dans ce petit établissement foisonnant de mille détails attendrissants  participe au sentiment de se retrouver dans un cocon. A force de séjours et malgré sa discrétion, nous avons appris deux ou trois choses sur elle : qu'elle partage sa vie avec un chat de dix-sept ans, qu'elle s'est trouvé un logement avec vue sur la chartreuse et que le vert est la couleur qu'elle préfère. On pourrait dire d'elle qu'il s'agit d'une personne des plus banales, une de ces personnes qu'on croiserait sans la voir sur un trottoir. Mais il y a des choses très frappantes chez elle : elle affiche en toute circonstance un calme olympien, une manière d'être tempérée qui n'exclut nullement les nuances. On peut toujours sentir à un demi-ton près ce qui va et ce qui ne va pas, ce qu'elle peut et ce qu'elle ne peut pas. Mais quoi qu'il en soit, avec qui que ce soit, elle traitera toujours ses interlocuteurs de la même manière : derrière une vitre de savoir-être et de savoir-faire. Cette pondération qui est la sienne, fait entièrement partie du lieu où elle travaille, où tout est géré avec légèreté et doigté, liés à une élégance dénuée de la moindre affectation. L'art de l'accueil, comme tout art, ne doit pas se voir, à peine se sentir. 

***
 
On traverse le salon, on se sert de thé vert, on admire divers tableaux en exposition et on comprend que cet endroit hors du commun est habité par un génie. Genius loci, disaient les Romains. C'est absolument certain : un petit dieu protecteur descendu sur terre veille ici sur les voyageurs, prodigue sourires et douceurs, ne cesse de leur offrir avec mille égards de fines particules de bonheur. 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire