dimanche 23 juin 2024

Vivre : bâtir son futur

 
Biennale d'architecture 2018 / Venise /  Peut-être Dreams and Promises / Peter Zumthor / pas sûr à §00%
 
 
Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l'homme, mais pas assez pour assouvir son avidité. 
Gandhi 


Deux rendez-vous en ville - une ville assez grande pour abriter pas mal de services et de sociétés - et, d'emblée, l'immobilier avec son insatiable avidité nous a sauté aux yeux. A l'arrivée, longeant l'autoroute, des alignements de barres - on croirait des cercueils - aucun balcon, de la grisaille, et de longues séries de carrés (d'un mètre sur un mètre) faisant office de fenêtres. On affiche sur des panneaux promotionnels que ces habitats d'une tristesse à pleurer sont verts et durables (ventilés aux moyens de monoblocs double flux pour les bâtiments proches des voies de chemin de fer et du trafic routier, nous explique-t-on, toitures végétalisées, équipées de panneaux photovoltaïques, ajoute-t-on pour nous rassurer). Les enfants qui devront y habiter apprendront ce qu'est un arbre à l'école, dans des manuels de biologie ou des albums à colorier. 
Si l'audace et la créativité font défaut dans les constructions destinées à ceux qui ont un besoin impératif de se loger, il est impressionnant de constater combien on y recourt quand il s'agit de rentabiliser. Certains se livrent à mille inventions pourvu que ça rapporte du pognon. Les chasseurs d'appartements prolifèrent. Des logements aménagés dans des sous-sol, à ras le bitume et les particules fines, seront vendus trois fois leur valeur et trouveront assurément preneur (comme dit mon amie M. "il y aura toujours un con quelque part d'accord pour payer trop cher").
En l'espace de deux heures, on sent combien la ville stresse. La ville épuise. La ville suce les énergies. La ville exsude le profit. Chercher, investiguer, se dépêcher, se placer, se dépenser pour trouver à se caser. Les gens sont-ils moins avides à la campagne ? Pas sûr du tout, mais ici on a quelques garde-fous : la nature impose son tempo, l'éloignement exige un ralenti. Moins de tentations, moins de sollicitations à dépenser, des traditions plus difficiles à évincer. 
En rentrant au village, on est frappé par le contraste : on passe devant une ancienne école en train d'être rénovée. Le moment venu, la belle bâtisse offrira de lumineux appartements. On l'admire et on se demande qui seront les plus privilégiés : les occupants du rez avec accès direct au verger, ceux qui seront logés sous les combles, avec vue sur les rives souveraines, ou les locataires du premier dont les fenêtres seront chatouillées par des arbres centenaires. Pour la remettre en état, les artisans ont pris et continuent de prendre tout le temps nécessaire. Procédant par étapes, ils semblent avancer à la mesure des fonds à disposition, veillant à poser des panneaux solaires, à souligner ses ouvertures d'un beau jaune mordoré, à restaurer l'escalier en pierre qu'une glycine rêve de squatter. 
Cette maison a depuis toujours une âme et du caractère. Elle n'est en rien un objet et ce qu'on y investit, c'est surtout de l'énergie. Ceux qui voudraient l'occuper ne seront pas mis en boîte, mais devront patienter, attendre que la belle soit prête à leur offrir hospitalité. Entre elle et ses futurs locataires se tissera un lien d'estime et de respect. Donner du temps au temps. Désirer. Imaginer. Laisser venir. Cultiver l'art de se réjouir.
Tandis qu'en ville le temps presse et les loyers s'emballent - se faire de l'or en barre, bel idéal - le chantier voisin oppose une tranquille résistance, s'achemine doucement mais fermement vers son achèvement. On se prend à rêver : que chacun ait droit à un habitat, mais pas n'importe quoi, pas n'importe comment, pas en méprisant les êtres et les espaces, pas en visant toujours plus d'argent en toujours moins de temps.
 

 

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