Un dimanche, après une journée de pluie battante, nous nous sommes rendus à Sassocorvaro, dont on nous avait vanté la forteresse et le lac artificiel de Mercatale situé en contrebas. Dans les rues vides, aucun visiteur, pas la moindre activité, tout paraissait abandonné. On aurait dit un village fantôme, mais une enseigne nous a intrigués. Elle se trouvait près d'une ancienne boutique dont la porte a grincé et s'est ouverte quand on l'a pressée. En entrant nous avons appris qu'il s'agissait du plus petit musée d'Italie : 16 mètres carrés. Un tout petit espace en l'honneur de La civilisation qui transpirait (que l'on devrait plutôt traduire par La civilisation qui s'échinait ?) Nous y avons trouvé des images de la vie paysanne au début du XXe siècle, qui paraissaient nous attendre depuis très longtemps et que nous avons longuement observées.
Les trois parois étaient recouvertes de reproductions usées, aux bords souvent racornis, comme un hommage silencieux et minuscule, attendrissant de modestie, reflet des personnages représentés, une sorte de chapelle laïque honorant le travail des gens "de peu" (étrange expression, quand on y pense, que ces gens de peu, auxquels la société doit encore et toujours de pouvoir se nourrir et fonctionner). Avec une économie de moyens, trois fois rien, les images disaient leur vocabulaire restreint et leurs petites joies. Elles disaient l'importance de la famille, l'importance aussi de faire communauté.
En évoquant des réalités quotidiennes, elles révélaient le prix des choses, leur valeur, l'importance prioritaire de pouvoir manger, se vêtir et d'avoir un foyer. Un feuillet, tracé d'une main mal assurée, nous apprenait que dans l'immédiat après-guerre, en 1946, le kilo de sel valait 28 lires et un kilo de beurre 700. Le café revenait à 1'100 lires - une fortune quand on pouvait le savourer - et tous ces biens essentiels parlaient infiniment à notre mémoire. Elles nous connectaient à des liens passés, nous rappelant de ne pas les oublier.
Le
passé n'a pas à être encensé ni idéalisé. On y souffrait probablement tout autant qu'aujourd'hui, d'une autre manière. On y venait au monde, on y vivait au rythme des saisons, on y
mourait souvent prématurément. Si loin, si proches, tous ces gens. Le passé n'est jamais passé quand
on prend la peine d'y puiser des valeurs intemporelles, qui risquent de nous échapper (cette fatuité contemporaine de croire que nos technologies et nos façons démentielles de dépenser nous placent en situation de supériorité...)
Sur le vieux carrelage, en plein milieu de la boutique, se trouvait un maquette représentant une maison paysanne du siècle dernier. L'intérieur, minuscule, contenait de tout petits détails, de la vie d'autrefois.
Quand nous avons raconté par la suite que nous étions passés par Sassocorvaro, on nous a demandé : "et vous avez visité la forteresse?" Nous avons répondu que là-bas, c'était un tout petit musée, des images jaunies, des papiers froissés, qui nous avait émus à en pleurer.
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