dimanche 13 novembre 2022

Regarder : deux présences

 
double portrait d'hommes / Léon Zack / Musée Unterlinden / Colmar
 
Je n'avais pas prévu de m'arrêter devant ce tableau. Trop à faire, trop à voir, je devais brider mon regard. Mais je me suis sentie happée par ces deux figures masculines et leur charme discret. Il se dégageait une telle pureté de cette œuvre, une pureté teintée de mystère que je me suis vue contrainte à stopper net. Qui ou plutôt quelle réalité le peintre avait-il voulu évoquer par cette double représentation, si simple somme toute : deux hommes faisant face au spectateur, torse nu, restitué à hauteur des aisselles, se tenant l'un près de l'autre, ou plutôt l'un légèrement derrière l'autre, chacun regardant dans une direction opposée, fixant un point à l'extérieur de la toile, le premier à la hauteur de ses yeux, l'autre ayant l'air plus songeur, comme aimanté par une pensée ou sans doute un souvenir ?
 
Les deux personnages se ressemblent. Ils ont la même physionomie, le même visage aux traits réguliers et fins, presque féminins. L'un - celui de gauche - semble être jeune, très jeune, il paraît tout juste être sorti de l'adolescence. L'autre a toutes les  apparences de la maturité, un homme adulte, expérimenté, qui tient son visage légèrement penché en avant, comme si le poids des années qui le séparent de son compagnon l'avaient touché, marqué et - peut-être - blessé. Une part d'innocence semble l'avoir quitté.
 
Le jeune homme a les cheveux et les yeux noirs. On pourrait le qualifier de basané, n'était son teint pâle, qui lui donne un aspect fragile. L'autre possède une chevelure et des sourcils plus clairs, bruns tirant sur le roux et des prunelles au marron soutenu.
 
On s'approche. On scrute. On se demande d'où provient la fascination émanant de cette œuvre. Tient-elle à la manière épurée dont le peintre a exécuté ce double portrait ? Ou s'agirait-il plutôt du mystère enveloppant la relation entre ces deux personnages ? On s'interroge : si proches, seraient-ils des amis, se pourrait-il qu'une relation amicale, voire amoureuse les lie ? Mais on peine à le croire. Ils sont si ressemblants qu'on dirait plutôt deux frères, et, sans doute, vu la différence d'âge, un fils et son père. 
 
On reste un bon moment méditative devant le tableau. On est trois dès lors, figés, immobiles, trois personnes partageant une énigme que le titre se garde bien de dissiper. Finalement, on s'éloigne en se risquant à une hypothèse : le peintre, âgé de trente-neuf ans au moment de sa réalisation (en 1931) aurait-il voulu représenter un double de lui-même ? Aurait-il eu l'impulsion de tracer symboliquement  sa trajectoire, comme s'il repensait à ses jeunes années, à ses espoirs d'alors, ses rêves, ses attentes, que la vie s'était chargée entre temps de ternir, voire d'assombrir. Une question à éclaircir, des preuves à chercher, me disais-je, absorbée, tandis que mes pas m'emportaient vers d'autres réalités non moins captivantes à observer.


2 commentaires:

  1. Très intéressant de nous donner à lire ce que « tu vois » dans ce tableau.
    C'est peut-être à dessein que l'artiste n'a rien dit de cette œuvre, de ce qu'il voulait exprimer. Cela laisse toute latitude au visiteur/visiteuse. J'ai lu avec intérêt mais je ne fus pas « happé ».
    Sur le site du musée il est question d'une œuvre à double face : « au revers, double portrait de femme ». As-tu vu les deux faces ? Quoi qu'il en soit je n'ai pas trouvé apparemment ce fameux revers sur Internet.
    Il y a cependant un portrait de femme unique qu'on peut remarquer ici :
    https://2.bp.blogspot.com/-rcrui5s2fFE/UiZUbJUcTyI/AAAAAAAAMwc/UH1Hxm66WV4/s320/Leon+Zack5.jpg
    qui ressemble assez fortement aux deux hommes.
    J'ai trouvé ce rapprochement intéressant mais tout aussi interrogateur !

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    1. Non, je n'ai pas vu l'autre face. Et je n'en ai trouvé nulle trace sur le net moi non plus. Ce tableau semble chargé de mystères, décidément. le portrait de femme semble aussi être un portrait ressemblant, une sœur des deux autres ? Va savoir...
      En écrivant, je me suis rendu compte que ce qui m'attirait dans cette peinture, c'est le lien que j'y voyais avec Les deux frères, que Picasso a peint dans sa période rose. Il y en a une version à Paris, mais je parle de la version qui se trouve à Bâle. Les figures ne sont pas les mêmes, les postures, les âges non plus. Et pourtant, j'y retrouve le même traitement épuré, les mêmes traits, la même gravité silencieuse.
      https://en.wikipedia.org/wiki/File:Pablo_Picasso,_1905-06,_Les_deux_fr%C3%A8res_(The_two_brothers),_oil_on_canvas,_141.4_x_97.1_cm,_Kunstmuseum_Basel.jpg

      Et cet article, du Kunstmuseum de Bâle après avoir passé la toile aux rayons X est fascinant : https://kunstmuseumbasel.ch/fr/programme/blog/2020/13. Certaines toiles sont chargées de fantômes!

      Belle soirée.

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