mardi 8 novembre 2022

Lire / écouter : chansons et autres confidences

 

Depuis la rentrée, La Source, proposée tous les dimanches par Cécile Coulon est devenu un rendez-vous incontournable. Ces entretiens avec divers écrivains autour des origines de leur écriture, les lieux où elle surgit, sont particulièrement captivants. Peut-être que seule une personne qui écrit est en mesure de poser les questions essentielles, et CC sait le faire en toute simplicité, alternant les échanges avec des extraits pertinents.
 
Il y a quinze jours, elle a lancé à Laurent Gaudé : Et si j'avais surgi, tout à l'heure, sur le quai de la gare Montparnasse où nous avions rendez-vous, et vous avais demandé "mais qui êtes-vous ?", vous m'auriez répondu quoi ? Réponse de l’intéressé :
Je crois que j'aurais répondu bêtement : "je suis Laurent Gaudé et je suis écrivain". Ce qui est absurde, mais dans dans ce genre de situation je suis bien incapable de trouver mieux. Moi il me faut le temps de l'écriture et de la réflexion pour commencer à déplier un problème. Cette question est magnifique. Elle est d'une complexité insondable, parce qu'on est tellement tout à la fois et tellement changeants. Je ne veux pas faire de grande philosophie, mais tout coule, et d'autres l'ont dit bien avant moi, dès l'antiquité grecque. Il y a ce qu'on est consciemment. Il y a ce qu'on a construit patiemment de soi. Il y a tout ce qu'on ne sait pas être. Il y a l'inconscient. Il y a la pulsion intérieure. Il y a ce qu'on aimerait être. Il y a les rêves qu'on fait, qui sont aussi une part de nous. Il y a ce qu'on a perdu et qui est encore en nous. Tout cela finit par dessiner une complexité innommable.
Il y a les mille façons dont nous sommes connectés aux autres. Être le frère de quelqu'un, la sœur, la mère, la fille. [...] En plus on peut être tout ça à la fois et tout ça crée une sorte d'identité plurielle permanente, qui est passionnante et extrêmement difficile à saisir dans l'écriture.
Quand vous êtes face à un roman, penser à vos personnages avec cette richesse-là, c'est très compliqué, parce qu'on a tendance à figer nos personnages, en disant : "tiens ça, c'est le personnage de la sœur". Et faire l'effort, et ralentir sur la sœur... Mais non, ce n'est pas possible, elle n'est pas que cela, et quoi d'autre ? et là, on commence à travailler en tant qu'écrivain, à rendre de l'épaisseur à chaque petit être qu'on va construire parce que je crois que c'est à ce prix là qu'ils vivront dans l'esprit du lecteur.
Interrogé à propos d'une forme qu'il voudrait explorer pour évoquer d'autres voix que la sienne, l'écrivain a révélé :
Il y a un truc que j'aimerais faire, mais je n'y arriverais jamais, c'est écrire des chansons. J'aimerais beaucoup parce que c'est un vecteur incroyablement populaire qui peut profondément toucher et accompagner les gens à un endroit dont on ne soupçonne pas la force. On commence à la soupçonner quand on regarde en arrière des chansons qui correspondent à notre jeunesse ou à telle ou telle décennie et on se rend compte à quel point c'est chargé de tout ce qu'on était à l'époque.
Ça, ce serait merveilleux. J'ai essayé mais il y a quelque chose avec la brièveté qui ne colle pas avec moi. Je ne peux pas. Je n'ai pas cette qualité d'écriture-là.
(Très adéquatement, la programmation musicale a alors diffusé L'embellie ou l'incendie, de Florent Marchet, auteur-compositeur que je pourrais écouter à longueur de journée en ce moment, au grand dam de P. qui commence à se lasser je le crains, de Paris-Nice et autres petites voix intimes.)

2 commentaires:

  1. Tiens ! Je viens justement de terminer « Chien 51 ».
    Ce livre fait quand même froid dans le dos. Parfois on a même plus le sentiment d'une anticipation. On se dit : « mais bon sang ! « Ça » existe quasiment déjà en 2022 et en tout cas on est sur le chemin… » : une super multinationale qui achète les pays un par un… et on a des noms dans la tête : Mark Zuckerberg et quelques autres et le dernier en date Elon Musk.
    Dystopie quand tu nous tiens !

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  2. En effet, on est loin de la littérature "feel good"!

    Oui, LG est un écrivain qui se distingue par une écriture dense et poétique, percutante et élégante. Du reste, je ne parviens pas à le lire en toute circonstance. Il s'agit d'être disponible, en tant que lecteur / trice, disponible à considérer toute la grandeur et toute la souffrance humaine. Ce qui frappe aussi avec cet auteur, c'est qu'il s'exprime aussi bien à l'oral qu'à l'écrit. Il parle très bien autant de son travail que du regard qu'il porte sur le monde autour de lui. C'est un véritable intellectuel qui invite à réfléchir.

    Si ça t'intéresse : https://www.youtube.com/watch?v=dDEcuMCDE4Q . Une rencontre de LG avec ses lecteurs à Vincennes.
    Belle soirée (ici l'automne est resplendissant, il nous restitue des pans de paysage tandis que les feuilles voltigent)

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