vendredi 31 mai 2024

Vivre : la vie au long cours

 

 
L'homme m'a demandé si nous pouvions permuter nos places. Avec son compagnon de l'autre côté du couloir, ils rentraient d'un colloque professionnel, durant lequel ils avaient apparemment fait connaissance (un domaine tournant autour de vagues projets informatiques) et ils ont échangé pendant toute la durée du vol. A la fin du trajet, ils avaient établi suffisamment de contacts pour y ancrer une relation prometteuse.
J'étais épuisée, physiquement, émotionnellement, mais pas assez pour m'endormir et leur dialogue s'est interposé entre mes images mentales et mon besoin de sommeil. Au bout d'un moment, je me suis  surprise à être totalement éveillée, saisie par la conversation qui parvenait à mes oreilles. Ces deux hommes (une petite quarantaine, allure ouverte et sympathique) dressaient avec leurs propos une photographie du monde professionnel d'aujourd'hui. D'un certain monde professionnel plus exactement.
Ils ont commencé par évoquer leur cursus, un cursus basé sur une série de solides formations, fait d'expériences plutôt courtes, parsemé d'embûches et de congés donnés, subis, craints, évités, comprenant des menaces de burn-out et des hiérarchies aux (in)compétences pour le moins inquiétantes.
Puis ils ont quitté le sujet (du moins en apparence) pour parler sport et détente. Ils pratiquaient tous deux de l'athlétisme, de l'alpinisme, des arts martiaux, à un niveau assez bon pour être instructeurs. Mais ces activités n'allaient pas sans effets secondaires : des accidents, des traumatismes ont été évoqués, des problèmes de ligaments croisés. Ruptures, déchirures, fractures ont été mentionnées. Et puis la suite inévitable des traitements, physiothérapie, rééducation, massages, toutes sortes de soins pour se remettre sur pied.
Nous commencions de survoler la région Rhône-Alpes quand ils ont commencé à parler yoga, méditation et diverses techniques de relaxation. Apparemment de nouvelles écoles mêlant survie, autodéfense et maîtrise du stress sont en train d'émerger. Le tout étant d'apprendre comment se renforcer pour rester dans la course sans se faire dégommer. Ont suivi (tandis que moi-même je parvenais difficilement à suivre, je l'avoue) toute une série de consultations auprès de spécialistes : de nutritionnistes, des psychologues, des thérapeutes, des coaches en santé, des appuis divers et variés.
Tandis qu'on nous annonçait l’atterrissage à Genève et que le Léman déployait un accueillant berceau destiné à nous recevoir, alors qu'ils échangeaient numéros et dates de cours spécialisés, j'ai soudain réalisé le poids du travail sur ces deux individus en apparence équilibrés (ils avaient évoqué compagnes, enfants, famille, vie sociale en marge de toutes leurs activités). Plus exactement : le poids du contre-poids nécessaire pour garder sa place dans un monde continuellement chamboulé.
En m'engageant vers la sortie, pleinement alerte, profondément songeuse, je me suis demandé si, entre vie professionnelle et protections diverses, il restait à ces compagnons de voyage du temps pour vivre, simplement vivre. Du temps pour respirer, être au monde, souffler. Mais bien sûr, il y a des questions qu'on ne peut pas poser, d'autant plus que les passagers à l'arrière, pressés, poussaient, qui devaient se dépêcher. Il leur fallait courir pour atteindre leurs trains qu'ils ne pouvaient se permettre de rater. 

 

jeudi 30 mai 2024

Vivre : sans pourquoi ni comment

 

 
Il suffit de peu parfois : un paysage, quelques nuages. 
Laisser le ciel se faire, se défaire, les trouées mourir et puis renaître.
Assister, en assise, immobile, sans autre désir que d'être.

mercredi 29 mai 2024

Lire / Voir / Ecouter : revoir, relire et écouter encore

 

 
Je visionne une nouvelle fois Contes du Hasard et Drive my car de Hamaguchi. Quelle délicatesse dans le jeu des acteurs, quelle subtilité dans les dialogues et le déroulement du scénario! Des bijoux que je pourrais voir et revoir sans jamais me lasser, car il y a toujours un détail qui m'avait auparavant échappé  (je préfère ne pas parler du récent Le mal n'existe pas, dont je suis sortie avec consternation : ça ne pouvait pas être le même cinéaste, il devait s'agir d'un homonyme!). Sur ma table également, Notre petite sœur, de Kore-Eda et Perfect Days, de Wenders. Ces images, ces mots, ces histoires sont des maisons dans lesquelles j'ai besoin de me réfugier certains soirs, pour y trouver sérénité et réconfort.

Je réécoute des podcasts récents, et certains autres datant de deux, trois ou même cinq ans. Je me souviens précisément de certaines interviews, et parfois même d'une seule phrase, marquante au point, que j'ai besoin de l'entendre une nouvelle fois dans son contexte, pour rejoindre à chaque fois un peu différemment celle ou celui qui parle. Acteurs, écrivains, chanteurs,  tandis qu'ils évoquent leur monde, ont tous quelque chose à m'apprendre. A travers les ondes circule un sentiment de proximité ignorant les frontières, les milieux, les années.

Je relis Elixir, le troisième tome de la tétralogie écrite par Kapka Kassabova, laquelle effectue, sur divers territoires balkaniques, un retour à ses origines qui tient à la fois d'un récit de voyage, d'une autoanalyse et d'un plaidoyer pour l'unité au sein du vivant. J'avais déjà parlé ici de L'écho du lac, son précédant livre. En la suivant à travers ses explorations, on est frappée par sa recherche obstinée de sagesse et de fraternité. L'écrivaine est une véritable passeuse et une authentique voyageuse qui sait interroger les lieux aussi bien que les personnes. Au fil des pages émerge une question essentielle : Quelles sont les qualités qui font un bon écrivain ou une bonne écrivaine de voyage ?
Il y a le don d'écrire, bien sûr, de poser des mots sur des situations et des personnalités, à travers un style personnel, une recherche à nulle autre pareille. Raconter sans juger, instruire sans frimer. Il y a les motivations qui poussent à partir, certainement. L'endurance, la ténacité aussi. L'esprit de débrouillardise, la juste évaluation des dangers, la faculté d'adaptation. L'aptitude à s'approcher et à nouer du lien, qui va de pair avec l'ouverture, la capacité d'empathie, l'accueil des différences.  
En relisant Elixir, ouvrage géopolitique et historique, botanique et écologique tout à la fois, j'ai saisi toute la force intérieure qui est nécessaire pour pouvoir affronter les récits de souffrances. Il ne suffit pas de s'avancer vers des inconnus avec le désir de comprendre. Il faut encore être capable de les entendre (des tracés de vie au sein des Balkans, terres conquises, bouleversées par tant de changements, d'horreurs, de ravages). Et l'écrivaine sait aller à la rencontre de ces territoires et de leurs histoires, tout en se trouvant loin, très loin de ses repères et de ses appuis habituels.
J'attends avec impatience Anima, dont la sortie est prévue en Grande-Bretagne à la fin de l'été. J'attends et dans cette attente, je reprends.
 
Avec ces re-, ces retours, j'ai l'impression de faire comme en couture : quelques points en arrière pour consolider le travail et m'assurer de sa tenue. L'approche d'une personnalité, d'un concept, d'une relation exige du temps et de la patience. Je serais incapable de plonger dans une œuvre,  puis de cocher une case définitive "lu", "entendu", "vu"comme d'autres disent avoir "fait" un pays, avant de vite passer à autre chose. Je me cabre à l'idée d'une course en avant, pour être sûre de ne jamais manquer le TGV des productions dont on nous abreuve. Cela me ramène constamment à une seule et même question : pour qui, pour quoi fait-on les choses ?

 

mardi 28 mai 2024

Vivre : l'espace interstellaire

 Voûte de la chapelle des Scrovegni / Giotto et atelier / Padoue

 
En tant que consommateurs, nous sommes de plus en plus sollicités à disperser des étoiles. Difficile d'y échapper. La moindre commande en ligne, le moindre appel à un prestataire peut donner lieu à une sollicitation : votre avis compte pour nous ! Une sacrée forme de pouvoir accordée au client, quand on y pense. Quel miel pour son ego : s'il peut exprimer des louanges ou alors carrément tacler toute personne qui n'aura pas répondu à toutes ses attentes, serait-il quelqu'un d'important ? Hmm... perturbant....
 
Le fait d'organiser un départ, de recourir à divers services ou prestations hôtelières augmente les demandes. Jusqu'ici j'avais toujours appréhendé le système de manière rationnelle : ne noter que ce qui en vaut la peine et attribuer cinq étoiles aux prestations, aux personnes, aux produits appréciés (sans hésiter à complimenter, car les compliments sont bons à recevoir et aussi à exprimer, l'énergie positive doit circuler). Donner une note moyenne, quand quelque chose d'important a failli (commencer par exprimer le positif de l'expérience, puis énoncer le ou les points à améliorer, en citant des faits et jamais des émotions). Ignorer quand une expérience a été décevante (par chance je ne tombe jamais sur des prestations mauvaises).
 
Petite règle personnelle : ne jamais écrire un avis sur demande. Je n'apprécie pas qu'un commerçant particulièrement souriant me lance un appel à donner une note positive quand je quitte son établissement. De grâce, évitons le racolage. 

Avec les années, je suis devenue de plus en plus restrictive. Je note le moins possible et seulement ce que j'estime excellent ou marquant. D'une part, le fait de donner son avis exige du temps, un temps qui m'appartient et que je n'ai pas envie d'utiliser n'importe comment. D'autre part, ces avis sont nettement plus coercitifs qu'il n'y paraît : utilisés pour contrôler les employés des boîtes concernées, ils sont un outil supplémentaire de pression sur leur travail ou pour diverses manipulations. Hmm... préoccupant...
 
Autre point : les notations censées porter sur une échelle entre 1 et 10 tendraient logiquement à dire qu'une note moyenne oscillerait entre 5 et 6. Eh non! attention ! C'est ce que m'a expliqué un efficace conseiller l'autre jour. Il s'agit de décoder : 8 signifie "mauvais"; 9 "médiocre" et 10 "bon". Intéressant de savoir dans quoi on s'engage quand on pense attribuer un jugement sincère. Les gérants le savent bien : il leur faut toujours se situer entre 9 et 10 pour que leur établissement soit jugé à la hauteur. Un hôtel noté à 8 est estimé de piètre qualité. Hmm... carrément stupéfiant!
 
Enfin, pour terminer, n'oublions pas que les arroseurs sont souvent arrosés : en tant que clients, pas d'illusions à se faire, nous aussi sommes évalués. Une seule solution, en voyage ou dans la vie quotidienne : être respectueux, prêter attention à tout ce qui constitue une information, développer une bonne communication et... oser. Oser les expériences, oser les différences, oser les mésententes, oser la reconnaissance, oser le fait que rien n'est parfait et que c'est parfaitement bien ainsi, puisque l'imperfection, c'est la vie! 
 

lundi 27 mai 2024

Habiter : le mécène paternaliste et l'architecte moderniste

 

En 1890,  Eusebi Güell i Bacigalupi, comte de Güell, un industriel du textile et mécène catalan, né en1846, décida de déplacer son usine à l'extérieur de Barcelone et demanda à l'architecte Antoni Gaudì d'édifier une cité industrielle destinée à loger et à encadrer socialement les ouvriers et leurs familles. Par ce mandat, l'industriel conjuguait deux de ses intérêts majeurs : sa passion pour l'art et le mécénat culturel ainsi que la neutralisation des mouvements syndicaux en améliorant les conditions de vie au sein de son entreprise. En effet, ce projet de type paternaliste prévoyait  un noyau social autonome à proximité des espaces de travail comprenant école, hôpital, église, magasin et salle de spectacles.

En quelques années, le projet a pris forme. De nos jours, la colònia Güell est l'un des lieux importants pour comprendre l'architecture de Gaudi. Sa visite est même largement proposée aux touristes venant visiter la capitale catalane.

Dans la ceinture des banlieues entourant Barcelone, déstructurée par l'anarchie des cités et des artères routières, envahie par la pollution et le ciment, le village classé à l'Unesco apparaît comme un îlot de paix et de sérénité. Chaque maison, de la plus imposante à la plus modeste, se révèle originale et personnalisée au gré de ses occupants. L'ensemble reflète à la fois la créativité et l'aspiration au bien commun. Au moment où l'usine textile cessa son activité, en 1973, les derniers ouvriers occupant des maisons purent les racheter. Même si à présent la gentrification gagne du terrain, il règne encore dans ses ruelles un esprit de village et de solidarité en écho aux années passées.
 

 



Nous sommes passés saluer Josep, ancien maître d'école et fils d'ouvriers ayant toujours habité le lieu. Il a vécu durant quelques années dans la demeure ci-dessus, appelée Ca l'Espinal. Tandis que nous discutions dans la rue, une touriste japonaise s'est approchée (il y a toujours beaucoup de Japonais en visite. Sans doute que les espaces, l'organisation des rues et des maisons n'est pas sans leur rappeler une conception traditionnelle de leurs propres villes). Notre ami s'est adressé à elle et lui a indiqué sa porte ouverte : elle pouvait entrer. Sans problème. Elle pouvait visiter. Il y avait quelque chose de surréaliste dans cette invitation spontanée à pénétrer seule dans sa maison et en même temps cette ouverture paraissait tout à fait en correspondance avec l'endroit.
 
Appartenant à la quatrième génération présente dans la colònia et premier enfant d'ouvriers à faire des études, Josep est très attaché à ce village et se démène depuis toujours pour en faire connaître l'histoire et en cultiver la valeur. Il a publié l'an dernier un ouvrage riche en témoignages photographiques et textuels.
 

 

 

 
Il faut relever que le principe des colonias est né dans les années 1860 dans la vallée du fleuve Llobregat, comptant de nombreuses industries textiles. Elles ont été construites principalement pour assurer la paix sociale et éviter les mouvements de rébellion de la part des ouvriers. En éloignant leurs usines de Barcelone, les industriels s'assuraient la dépendance de leurs employés et la mise à distance des luttes syndicales alors naissantes. Nous avons quitté Josep avec la promesse de refaire comme il y a... trente-cinq ans (quoi? déjà ?) la visite de quelques uns de ces sites, précieux témoins de la vie industrielle.

Après avoir visité la crypte, église inachevée dont je reparlerai bientôt, et visité le parc où fleurissaient une quantité impressionnante de mauves, nous nous sommes attablés à l'Ateneu Unio, l'ancien espace culturel pourvu d'un café, qui fut l'une des premières réalisations mises à disposition des travailleurs. Leurs bocadillos de queso y jamon étaient une tuerie. Il était presque midi. Nous prenions notre petit-déjeuner. Une longue journée de visites et de rencontres pouvait commencer.
 
Ateneu Uniò / intérieur du café
(photographie tirée du site : https://www.fotografiescatalunya.cat/colonia-guell 
qui présente des images remarquables pour découvrir le site)


dimanche 26 mai 2024

Vivre : répondre à A.

 
Madonna con bambino e angeli /Barnaba da Modena / Museo Nazionale di San Matteo  / Pisa

 
J'ai terminé mon e-mail. Je prends des nouvelles. Je donne des nouvelles. Réflexion faite : en le relisant, je me donne de mes nouvelles. 
 

samedi 25 mai 2024

Voyager : l'amitié, si lente à mûrir, et la vie si rapide...

 
Terrasse / Crypte Gaudì / Colonia Güell / Santa Coloma de Cervello
 
Quelques jours avant le départ, j'ai été prise d'un étrange malaise. Tout me coûtait. L'énergie me manquait. Le soir précédant j'ai commencé à jeter des regards SOS aux parois de ma maison, au pelage réconfortant du chien. Je n'avais plus envie. Qu'est-ce qui m'avait pris ? Pourquoi avoir décidé de retourner là-bas ? Au matin, au réveil, une superbe migraine s'était emparée de mon crâne. Mi-graine / mi-freine. Tangage entre départ et dépars-toi. J'ai dû me pousser, surmonter la crainte de ce que j'allais retrouver.
Il y avait le prétexte officiel au voyage, ce livre sur le deuil, son vernissage. Comme une boîte de Pandore, je craignais que trop de souvenirs ne s'échappent de ce petit ouvrage. Il y a des retrouvailles qui font parfois trop d'entailles, qui cisaillent la mémoire. Quelque chose au fond de mes tripes avait  peur d'un coup de poignard.
En quarante ans d'amitié, tant de choses perdues, tant d'espoirs, tant d'idéals. Tant de maisons construites et abandonnées. Tant de maisons perdues et restaurées. Tant d'alliances, tant de mariages, tant de paysages. Tant de compagnonnages.  Et les enfants aussi. Les enfants partis trop tôt sont des pierres qui s'incrustent dans nos souliers, lacèrent nos pieds, nous empêchent d'avancer.
Mais j'avais oublié le pouvoir de l'amitié. Sur l'immense avenue de l'aéroport fou aux extensions tentaculaires, j'ai serré M. dans mes bras comme je l'ai fait tant et tant de fois et comme tant et tant de fois notre dialogue a recommencé. Comme si de rien, comme si la connexion était la chose la plus naturelle, la plus évidente au monde. Comme si c'était la première fois.

mardi 21 mai 2024

Vivre : reconnaître

 
Raccolta della Manna / Ercole di Roberti / National Gallery / Londres
 
N'oublie pas 
le pain, l'eau, le matelas
n'oublie pas tout ce que tu as. 

lundi 20 mai 2024

Vivre : temporalités

 
Horloge de la place Saint-Marc / Venise
 
Chaque verbe a son temps de  prédilection. Aimer, c'est évidemment au présent qu'il prend toute sa saveur. Dans l'instant, l'amour se donne totalement. Au passé ou au conditionnel, il assume un vernis de tristesse ou de douteuse intention. Tandis qu'apprendre se conjugue particulièrement bien au passé composé. Il y trouve toute son intensité. J'apprends indique qu'on est sur un chemin, mais il n'est pas sur qu'on arrive à destination. Alors que, quand on dit qu'on a appris, c'est qu'une chose est vraiment acquise. Les temps donnent ainsi aux verbes des colorations particulières. L'imparfait, le temps du passé long et lent, est souvent teinté de nostalgie. Avec ce temps de la mémoire, on raconte ce qui n'est plus, ce qui est déjà ailleurs.
En ce qui me concerne aujourd'hui, je ferai une grande balade le long d'une rivière qui semble couler depuis la nuit des temps et qui déborde de vitalité. Nul doute : c'est au futur que le verbe faire revêt un maximum d'attraits.

dimanche 19 mai 2024

Vivre : quelque chose à fêter

 
Saint-Georges combattant le dragon /Vittore Carpaccio / San Giorgio degli Schiavoni /Venise
 
Comme les choses changent... comme tout n'est qu'impermanence... comme le hasard est étrange... J'ai croisé hier Mme S. huit ans presque jour pour jour après notre dernière rencontre. Selon son habitude, elle s'est esquivée. Elle s'est glissée entre deux rayons, faisant mine de se concentrer sur le contenu d'une boîte de cornichons. Celle que j'avais surnommée 3M (médiocre, mesquine, manipulatrice) m'est apparue au bout de tout ce temps comme menue, morne, minuscule. Elle qui divisait pour mieux régner, elle dont l'intelligence consistait à tout compliquer, elle qui voulait tout dominer quitte à casser ou à diffamer, elle qui à défaut de charisme cultivait l'art de la malignité, était devenue une retraitée ratatinée, penchée sur son petit panier. 
Tout à coup, j'ai été prise d'une irrépressible envie de rire et de jubiler. Je me suis dirigée vers la caisse avec une bouteille de noble cuvée. Dehors la vie palpitait, le soleil brillait. Tout appelait à se régaler. Je me suis élancée.

samedi 18 mai 2024

Lire : rendez-vous manqués (ou pas)

 
Saint-Jérôme dans son étude / Niccolò Antonio Colantonio / Museo Capodimonte / Naples
 
 
Un livre, comme une personne, peut être le prélude à une véritable rencontre. C'est pour ça qu'on souffre durant les longues périodes où les livres se succèdent et où ça ne matche pas. L'histoire, le style, les descriptions nous laissent indifférents, comme certaines personnalités. Ce n'est pas le bon moment, il n'y a pas de correspondance. On continue, poussivement, jusqu'à la fin, mais ça devient long et lourd. Parfois, on se dit qu'il vaut mieux arrêter. En revanche, quand le livre nous parle, on entre en terre connue. On se sent arrivé. On a envie d'écrire. On se sent pousser des ailes. La mémoire de notre passé remonte à la surface. On se sent revivre. Comme au début d'une amitié.


vendredi 17 mai 2024

Vivre : still life / 146

 

 
Certains jours, le bonheur tient à une tige penchée au bord du chemin.
ses minuscules feuilles : des cœurs, des lumignons, d'incroyables inventions.

jeudi 16 mai 2024

Vivre : faire des histoires

 
Composición con figuras / Rafael Canogar / Fundación Juan March / Palma de Mallorca
 
La vie de chacun est un roman. Oh! oui. Certainement. Mais les passants sont plus ou moins inspirants. Sur le quai, j'esquisse des fictions : une pour la fille à la peau trop blanche et au pullover trop noir; une pour le garçon qui s'excuse trois fois de suite pour trois fois rien; une pour la femme dont la démarche de camionneuse et les épaules de déménageuse jurent avec le tailleur en faux Chanel et la chaînette en toc véritable. En revanche, l'homme aux chaussures pointues occupé à fourguer une assurance, la jeune fille au chignon déstructuré et à l'allure délurée fonçant en tête de train, les jeunes étudiants excités par leurs révisions montent dans leur wagon sans que je leur aie construit un destin. 
Tant de vies qui passent, tant de coups donnés ou accusés, d'attentes déçues ou comblées. Tant de gens à observer. Tant d'histoires à raconter sur le papier buvard de notre regard.

 

mercredi 15 mai 2024

Vivre : les temps changent

 
Élévation de Marie-Madeleine / Maestro della Maddalena Assunta / Pinacothèque /Ferrare
 
 
Se faire une place au soleil ?
Mmm... non, merci, sans façons. 
C'est plutôt une place à l'ombre 
qui serait l'objet de mes aspirations.

mardi 14 mai 2024

Vivre : à chaque jour suffit sa peine

 
La Résurrection (détail soldats) / Piero della Francesca / Museo civico / Sansepolcro
 
 
J'adore travailler, c'est-à-dire œuvrer, m'adonner à des tâches qui font sens : nettoyer les vastes vitrages dont la transparence nous projette dans le paysage, il semblerait alors qu'on effleure du doigt le lac, les arbres, les nuages; cuisiner des aubergines à la parmigiana, quand je trouve des légumes-fruits inspirants, quand tout est à disposition pour préparer la sauce tomate de saison, les tranches de fromage, le basilic du jardin; briquer de fond en comble la voiture mise à mal par la boue et les assauts de mon chien; étendre dehors le linge pour que les senteurs de glycine et de savon de Marseille s'entremêlent; rapporter de nos balades des bouquets de fleurs sauvages et les disposer selon les appels du mobilier. J'adore tout ce qui fait vivre la maison. J'adore nourrir, pétrir, fouiller, gratter, épousseter, inventer, décorer, bricoler. 
En revanche, le soir, à l'heure où se dorent les lézards, quand l'Angélus sonne à l'église du village, je me retrouve toujours affalée, léthargique, déconnectée, prête à me livrer aux bras de Morphée. Ne me restent que quelques neurones en état de marche pour fonctionner au radar. Je n'y suis pour personne - ou presque - et ce n'est qu'à l'Angélus suivant, au lever du soleil, que Mister P. sera autorisé à venir me tirer du sommeil et à m'emmener saluer les taurillons qui ouvrent à notre passage leurs grands yeux innocents.


lundi 13 mai 2024

Vivre : réaménagements

 
Madonna del Parto (détail ange G) / Piero della Francesca / Monterchi
 
Début mai, une ondée de surcharge s'est annoncée. Trop de choses à faire, à lire, à traiter. Quelques signes de stress : une sérieuse baisse d'énergie, voire une maladie m'envoyaient sans doute leurs avant-courriers. Quand ce genre de phénomène se déclare, des mesures s'imposent. Une seule solution : élaguer. Ai remisé tous mes vêtements noirs (leur vue me plombait, cette année j'ai besoin de couleurs). Ai rassemblé une douzaine de livres très très intéressants, mais qui attendaient sur ma pile depuis trop longtemps (les PAL me semblent de plus en plus inutiles, quand les livres attendent en longue durée, c'est que quelqu'un d'autre devrait pouvoir en bénéficier, out! donnés!). Ai repoussé un projet qui peut attendre l'année prochaine (l'ai remplacé par un voyage qui me met en joie). Me suis donné trois heures pour liquider une tâche qui traînait (ah! faire fi du fignolage et de ses excès!). Peu à peu, j'ai vu mon horizon s'élargir, mes idées s'éclaircir : pourquoi tomber malade alors qu'il suffit d'échanger quelques lourdeurs par de simples plaisirs ?

dimanche 12 mai 2024

Voyager : une résidence de Savoie

 
Ritratto di donna "Antea" / Parmigianino / Museo Capodimonte / Napoli
 
C'est un lieu magique, un peu en retrait, difficile de repérer l'indication pour en trouver l'entrée. On est au XXIe siècle, oui, il y a le Wi-Fi, on pourrait regarder la télé si on voulait. Mais il y a aussi quelque chose d'intemporel, qui rappelle d'autres chuchotements, d'autres parfums, d'autres étés. Le jardin - ou parc, comme on voudra - est protégé par un mur qui s'effondre de-ci de-là, ce qui donne un aspect d'hortus conclusus à l'endroit. On pourrait passer des heures sous les peupliers, à entendre des battements d'ailes ou des crissements de gravier. On pourrait y lire sans être aucunement dérangée. On pourrait aussi se prendre à rêver, ou à se remémorer des bribes inconséquentes du passé. Dans le salon à l'entrée il y a des portraits d'ancêtres austères et en face une déclinaison de verres de pelaverga représentés en vert pomme et encre de Chine noire. Sur le coin d'un buffet, une série de bouchons renversés contenant de minuscules boutures de sempervirens. C'est un lieu paisible où vers seize heures des enfants se permettent plusieurs allers-retours de la cuisine à la terrasse, on dirait qu'ils n'en finissent pas de goûter. Ils s'exercent à faire la roue, se chatouillent, se chicanent et puis repartent se chercher un bol de crème glacée. Je me suis souvent demandé ce qui faisait le charme de ce lieu béni. Je me suis souvent interrogée. J'ai fini par me dire que c'est un lieu totalement privé de vulgarité. Autant dire : une rareté.

samedi 11 mai 2024

Regarder : voir Naples et palpiter

 
Portrait de Paul III sans toque pontificale / Le Titien

Le musée Capodimonte de Naples est actuellement fermé. Il est en train de se refaire une beauté, de s'amplifier en vue d'accueillir en 2025 plus d'espaces d'exposition, en particulier le Musée Lia et Marcella Rumma, qui sera consacré à l'Arte Povera et à l'Avant-Garde italienne. Les travaux de rénovation prévoient d'assurer aux bâtiments l'autonomie énergétique grâce au photovoltaïque et le recours aux eaux de pluies recueilles dans l'énorme Bosco, le parc historique qui lui donne son nom. Au sein de cet énorme poumon urbain, l'un des plus grands jardins d'Italie, l'architecte Santiago Calatrava a restauré la chapelle de San Gennaro en lui offrant une stupéfiante majesté bleutée. 
 
Un musée qui ferme pour rénovations prête habituellement ses œuvres maîtresses afin de rester vivant et de s'assurer quelques échanges de bons procédés. Ainsi, l'an dernier le Louvre a présenté "Naples à Paris" de juin à début janvier 2024. Le voyage était tentant, mais... pourquoi faire quatre heures de TGV alors que les chefs-d’œuvre sont en train d'amorcer leur retour vers la Campanie en faisant halte dans la capitale du Piémont et que nous contournons Turin à chaque descente vers les tendres collines des Langhe ?
 
 
Saint Jérome dans son étude / Niccolo Antonio Colantonio

La Venaria Reale présente actuellement et jusqu'au 15 septembre près de soixante-dix œuvres majeures et dans cet écrin royal les tableaux de Masaccio, Masolino, Titien ou Mantegna, pour ne citer qu'eux, sont fastueusement mis en valeur. La visite a été une merveille (surtout durant la pause de midi quand tous les visiteurs paraissaient désireux de partir se sustenter et que les gardiens, quant à eux, semblaient pris d'une furieuse envie de somnoler). Dans la lumière tamisée, face à des si grands tableaux, je me suis surprise à me pencher sur de tout petits détails, véritables cadeaux pour mes yeux fascinés. 
 
L'Assomption de la Vierge / Masolino da Panicale
 
La Transfiguration / Giovanni Bellini

Lucrèce / Parmigianino

 Antea / Parmigginino

 
Plus tard, sur la terrasse du Convito, où le regard attendrissant de Mister P. nous a valu la meilleure table face à l'imposante façade de la Reggia, nous sommes restés longuement admiratifs et silencieux. Les groupes se pressaient, les ados se bousculaient, leurs enseignants tentaient de les rassembler avec un succès mitigé à coups de hauts-parleurs et de bras moulinés. Peu à peu les tables se vidaient et nous nous sommes retrouvés les derniers. Les serveurs ne semblaient pas plus pressés que nous. C'était une belle après-midi de printemps, quasiment estivale, où tout concourt à se cheviller miraculeusement comme tenon et mortaise. A vrai dire nous aurions aimé nous attarder jusqu'au soir, pour voir le palazzo s'illuminer, pour nous sentir encore proches de toutes les toiles admirées. Toutefois, comme un bout de route nous attendait, nous avons fini par aller puiser dans les excellents sorbets de la gelateria Cuore Blu, un peu plus loin dans la rue, le courage de prendre congé.
 


vendredi 10 mai 2024

Vivre : se souvenir d'anciennes glaces à la fraise

 
Elemosina di Santa Elisabetta d'Ungheria / Bartolomeo Schedoni / Museo Capodimonte / Napoli
 
 
Parfois, sans qu'on ait rien attendu, rien demandé, des moments parfaits : la grâce


jeudi 9 mai 2024

Vivre : Emilie jolie

 
Cupidon blessé / Jean-Baptiste Carpeaux / Glyptothek  NY Carlsberg / Copenhague
 
Elle se montre intrépide sur sa toute nouvelle bicyclette, reçue quand elle a soufflé ses quatre bougies. Elle épuise sa grand-mère en authentique pipelette, plus bavarde qu'une pie. Pendant la sieste, elle lui chuchote un grand secret au creux de l'oreille : Dans le ventre de maman, il y a un bébé. Naturellement, en tant que grande sœur, elle a annoncé à ses parents que, si nécessaire, elle aussi était prête à se lever la nuit....

mercredi 8 mai 2024

Vivre : redonner vie

 
Production Line - Denim Shirt - 2014 / Huang Po-Chih / The Irreplaceable Human / Musée Louisiana
 
 
Longtemps j'ai donné. Mais quelques documentaires sur le sort des textiles excédentaires exportés en Afrique, via la Croix-Rouge ou diverses associations, montrent que nos fripes, après tant d'autres choses, contribuent à polluer. Ça laisse sceptique quant aux bienfaits de notre générosité. 
La mode du second hand est en train de cartonner. On nous invite à acheter des vêtements déjà portés (parfois proposés à prix très élevés) et peut-être que cette façon d'acheter apaise notre probable culpabilité. La bonne consommation serait d'occasion. Résultat : Les boutiques de dépôt-vente fleurissent. Les stands de fringues d'occase sur les marchés aussi. Je jette souvent un coup d’œil, mais je ne trouve jamais rien : il est rare qu'une pièce de ma taille (40) corresponde à un modèle qui me séduit. Quand je rentre, j'observe ma penderie : tout correspond à ma grandeur (1m76) et à mes choix. Conclusion : c'est chez moi que se trouvent les vêtements à porter et c'est chez moi que ma boutique de seconde main doit être installée. Aucun besoin d'acheter ailleurs (sauf les paires de jeans qui s'usent jusqu'à se déchirer et que je garde comme vêtements de travail). Comme je prends soin des choses et garde un poids stable, les habits acquis il y a cinq, dix et même quinze ans sont toujours à disposition. J'ai décidé de diviser le stock et de générer un roulement sur trois années. En allant piocher au fond d'une armoire après trois hivers ou trois étés, je redécouvre des vêtements que j'avais oubliés et je me sens jubiler : je renouvelle ma garde-robe et je la garde jusqu'à l'usure sans rien dépenser. Et surtout : sans rien gaspiller.

mardi 7 mai 2024

Vivre : un vieux compagnonnage

 
Histoires de Sainte-Ursule (détail Arrivée des Ambassadeurs) / Vittore Carpaccio / Galleria dell'Accademia / Venezia

Elle est adorable, avec son visage fripé, une vraie Boskoop ratatinée. Elle peine à se lever, un réel défi à la gravité, une tortue ne sachant où se diriger. Elle bouge au ralenti, elle parle avec un accent, on la croirait d'un autre pays. Elle décrit sa chienne, qui a seize ans et qu'elle avait reçue tout bébé, dont la santé commence à décliner. Elle raconte leurs balades : "Je suis obligée de réduire mon allure pour ne pas la vexer. Je veux pas qu'elle sente que je la tire par le collier." 
 

lundi 6 mai 2024

Vivre : de bric et de broc

 
chiesa di San Pietro / détail façade / Cherasco
 
 qui sommes-nous ? que dire quand il s'agit de nous présenter ?
 constitués d'éléments si disparates, comment tous les énumérer ?
nos cartes de visite varient selon les interlocuteurs et les occasions.  
notre identité est un poisson bondissant dans une rivière de printemps.
 

dimanche 5 mai 2024

Vivre : le rendez-vous de 16 heures

 
Femme arrangeant ses cheveux / Edgar Degas / Ordrupgaard /Copenhague
 
Elle s'agite en parlant. Ses membres partent dans tous les sens. Avec elle, la conversation ne tarit jamais. Elle écoute, elle écoute une phrase, peut-être deux, et puis relance sans arrêt. Pas question d'approfondir, de chercher à comprendre, de trouver à savoir. Cette conversation sautille, va et vient, s'emballe, comme un ballon qu'on se passe au handball sans jamais savoir dans quel sens il devra être rattrapé. Elle ne laisse aucune chance au silence : c'est trois secondes à tout casser. On dirait qu'elle se méfie de l'absence de mots, du vide qui se crée. On dirait qu'elle en a peur comme d'une boîte de Pandore qu'elle se doit de garder fermée. On se demande : que renferme donc ce vide qui semble l'affoler ? Que dirait le silence s'il pouvait parler ?

samedi 4 mai 2024

Vivre : Still life / 145

 

 
Samedi dernier à Berne se tenait la grande brocante sous les longues arcades. Une balade attendue, une balade pour les yeux, pour l'ambiance fourre-tout, pour les gamins en manque d'argent de poche, pour les familles en quête de place dans leur grenier, pour les commerçants désireux de liquider. J'ai beau savoir que j'ai déjà tout. J'ai beau vouloir absolument que la maison élimine ses excès. J'ai beau me dire que je ne veux que regarder. J'ai beau plus souvent qu'à mon tour m'enquérir d'un prix et puis renoncer. J'ai quand même fini par craquer. Deux petites boîtes pour remettre des biscuits à des tout petits. Et puis cette tête de Bouddha, en bronze, dont je n'avais aucun besoin - point trop de déco zen, de grâce, point trop de bibelots à la chaîne - mais voilà : elle s'est imposée à moi. C'était dix francs. Un prix très tentant, mais ce sont surtout mes mains qui ont choisi. Elles m'ont dit : Sens le poids de cette tête dans ta paume, sois sûre sois certaine que cette statuette sera une douce compagne. Depuis que la tête est là, il semble que quelques grammes de calme aient pris place au salon, face aux rayons du soleil levant.

vendredi 3 mai 2024

Vivre / Habiter : les sacs si lourds de nos avoirs

 
La Vecchia / Giorgione / Galleria Accademia / Venezia

Ils sont venus apporter deux livres. Ils débarrassent leur maison. Ça y est : leur décision est prise. Ils vendront. Ils vendront dès que possible. La maison se fait trop exigeante, avec toutes ses chambres,  avec les mauvaises herbes qui s'acharnent dans le jardin, sans compter leurs os qui se fragilisent et tous les rendez-vous chez les médecins. Alors, ils débarrassent, mais leur tâche, loin de diminuer, se fait chaque jour plus pesante : tant d'années passées à accumuler, à refuser de jeter ou de donner, à se dire que ça pourrait encore servir, à conserver jusqu'à combler le moindre recoin. Dans leur univers, une vis était une vis et on pouvait en avoir un jour besoin. Alors, ils se retrouvent face à un monde de petites vis, de pots de confitures, vides ou pleins, une armada de journaux entassés et de produits d'entretien, un monde qui leur déboule dessus tous les matins. Et leur fatigue se fait immense.
Leur entreprise, à coup de cabas remplis, évalués, repris et déplacés, leur paraît interminable. Mais l'alternative, cette résidence qui les attend là-bas, cette dernière résidence, la dépendance, ils ne sont pas vraiment pressés d'y arriver. Alors, ils vont sonner chez les uns chez les autres et distribuent une ou deux babioles dont personne n'a la nécessité. Ils déversent un ou deux sacs à la déchetterie, la mine défaite, et il leur semble que la benne engloutit toute une tranche de leur vie.
Ils s'efforcent de traverser un pont implacable qui leur dit : la vie a une fin et se dirigent vers l'autre rive, hésitants, engourdis, avec deux pauvres livres entre leurs mains.

jeudi 2 mai 2024

Vivre / Habiter : les passages obligés

 
Construction de la cathédrale /Andrea Pisano et son atelier / Museo Opera del Duomo / Florence
 
Ces grands élans qui me saisissent - surtout au printemps - décapages, vernissages, nettoyages, élagages - ces grandes fatigues, ces nécessaires transformations, ces mises à mal de mes articulations se révèlent être des signes : les métaphores des efforts que réclame de temps à autre ma vie intérieure pour assurer son évolution.


mercredi 1 mai 2024

Vivre : obstinément

 
Assomption / Raffaellino del Colle / Museo civico / Sansepolcro
 
Dans toutes les relations, il y a la forte probabilité d'une déception, 
et le plus extraordinaire, le plus fou, c'est que nous nous relevons, 
nous recommençons, nous nous lançons, toujours nous récidivons, 
toujours nous prenons  le risque d'une nouvelle probable déception.