mercredi 29 mai 2024

Lire / Voir / Ecouter : revoir, relire et écouter encore

 

 
Je visionne une nouvelle fois Contes du Hasard et Drive my car de Hamaguchi. Quelle délicatesse dans le jeu des acteurs, quelle subtilité dans les dialogues et le déroulement du scénario! Des bijoux que je pourrais voir et revoir sans jamais me lasser, car il y a toujours un détail qui m'avait auparavant échappé  (je préfère ne pas parler du récent Le mal n'existe pas, dont je suis sortie avec consternation : ça ne pouvait pas être le même cinéaste, il devait s'agir d'un homonyme!). Sur ma table également, Notre petite sœur, de Kore-Eda et Perfect Days, de Wenders. Ces images, ces mots, ces histoires sont des maisons dans lesquelles j'ai besoin de me réfugier certains soirs, pour y trouver sérénité et réconfort.

Je réécoute des podcasts récents, et certains autres datant de deux, trois ou même cinq ans. Je me souviens précisément de certaines interviews, et parfois même d'une seule phrase, marquante au point, que j'ai besoin de l'entendre une nouvelle fois dans son contexte, pour rejoindre à chaque fois un peu différemment celle ou celui qui parle. Acteurs, écrivains, chanteurs,  tandis qu'ils évoquent leur monde, ont tous quelque chose à m'apprendre. A travers les ondes circule un sentiment de proximité ignorant les frontières, les milieux, les années.

Je relis Elixir, le troisième tome de la tétralogie écrite par Kapka Kassabova, laquelle effectue, sur divers territoires balkaniques, un retour à ses origines qui tient à la fois d'un récit de voyage, d'une autoanalyse et d'un plaidoyer pour l'unité au sein du vivant. J'avais déjà parlé ici de L'écho du lac, son précédant livre. En la suivant à travers ses explorations, on est frappée par sa recherche obstinée de sagesse et de fraternité. L'écrivaine est une véritable passeuse et une authentique voyageuse qui sait interroger les lieux aussi bien que les personnes. Au fil des pages émerge une question essentielle : Quelles sont les qualités qui font un bon écrivain ou une bonne écrivaine de voyage ?
Il y a le don d'écrire, bien sûr, de poser des mots sur des situations et des personnalités, à travers un style personnel, une recherche à nulle autre pareille. Raconter sans juger, instruire sans frimer. Il y a les motivations qui poussent à partir, certainement. L'endurance, la ténacité aussi. L'esprit de débrouillardise, la juste évaluation des dangers, la faculté d'adaptation. L'aptitude à s'approcher et à nouer du lien, qui va de pair avec l'ouverture, la capacité d'empathie, l'accueil des différences.  
En relisant Elixir, ouvrage géopolitique et historique, botanique et écologique tout à la fois, j'ai saisi toute la force intérieure qui est nécessaire pour pouvoir affronter les récits de souffrances. Il ne suffit pas de s'avancer vers des inconnus avec le désir de comprendre. Il faut encore être capable de les entendre (des tracés de vie au sein des Balkans, terres conquises, bouleversées par tant de changements, d'horreurs, de ravages). Et l'écrivaine sait aller à la rencontre de ces territoires et de leurs histoires, tout en se trouvant loin, très loin de ses repères et de ses appuis habituels.
J'attends avec impatience Anima, dont la sortie est prévue en Grande-Bretagne à la fin de l'été. J'attends et dans cette attente, je reprends.
 
Avec ces re-, ces retours, j'ai l'impression de faire comme en couture : quelques points en arrière pour consolider le travail et m'assurer de sa tenue. L'approche d'une personnalité, d'un concept, d'une relation exige du temps et de la patience. Je serais incapable de plonger dans une œuvre,  puis de cocher une case définitive "lu", "entendu", "vu"comme d'autres disent avoir "fait" un pays, avant de vite passer à autre chose. Je me cabre à l'idée d'une course en avant, pour être sûre de ne jamais manquer le TGV des productions dont on nous abreuve. Cela me ramène constamment à une seule et même question : pour qui, pour quoi fait-on les choses ?

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire