lundi 27 mai 2024

Habiter : le mécène paternaliste et l'architecte moderniste

 

En 1890,  Eusebi Güell i Bacigalupi, comte de Güell, un industriel du textile et mécène catalan, né en1846, décida de déplacer son usine à l'extérieur de Barcelone et demanda à l'architecte Antoni Gaudì d'édifier une cité industrielle destinée à loger et à encadrer socialement les ouvriers et leurs familles. Par ce mandat, l'industriel conjuguait deux de ses intérêts majeurs : sa passion pour l'art et le mécénat culturel ainsi que la neutralisation des mouvements syndicaux en améliorant les conditions de vie au sein de son entreprise. En effet, ce projet de type paternaliste prévoyait  un noyau social autonome à proximité des espaces de travail comprenant école, hôpital, église, magasin et salle de spectacles.

En quelques années, le projet a pris forme. De nos jours, la colònia Güell est l'un des lieux importants pour comprendre l'architecture de Gaudi. Sa visite est même largement proposée aux touristes venant visiter la capitale catalane.

Dans la ceinture des banlieues entourant Barcelone, déstructurée par l'anarchie des cités et des artères routières, envahie par la pollution et le ciment, le village classé à l'Unesco apparaît comme un îlot de paix et de sérénité. Chaque maison, de la plus imposante à la plus modeste, se révèle originale et personnalisée au gré de ses occupants. L'ensemble reflète à la fois la créativité et l'aspiration au bien commun. Au moment où l'usine textile cessa son activité, en 1973, les derniers ouvriers occupant des maisons purent les racheter. Même si à présent la gentrification gagne du terrain, il règne encore dans ses ruelles un esprit de village et de solidarité en écho aux années passées.
 

 



Nous sommes passés saluer Josep, ancien maître d'école et fils d'ouvriers ayant toujours habité le lieu. Il a vécu durant quelques années dans la demeure ci-dessus, appelée Ca l'Espinal. Tandis que nous discutions dans la rue, une touriste japonaise s'est approchée (il y a toujours beaucoup de Japonais en visite. Sans doute que les espaces, l'organisation des rues et des maisons n'est pas sans leur rappeler une conception traditionnelle de leurs propres villes). Notre ami s'est adressé à elle et lui a indiqué sa porte ouverte : elle pouvait entrer. Sans problème. Elle pouvait visiter. Il y avait quelque chose de surréaliste dans cette invitation spontanée à pénétrer seule dans sa maison et en même temps cette ouverture paraissait tout à fait en correspondance avec l'endroit.
 
Appartenant à la quatrième génération présente dans la colònia et premier enfant d'ouvriers à faire des études, Josep est très attaché à ce village et se démène depuis toujours pour en faire connaître l'histoire et en cultiver la valeur. Il a publié l'an dernier un ouvrage riche en témoignages photographiques et textuels.
 

 

 

 
Il faut relever que le principe des colonias est né dans les années 1860 dans la vallée du fleuve Llobregat, comptant de nombreuses industries textiles. Elles ont été construites principalement pour assurer la paix sociale et éviter les mouvements de rébellion de la part des ouvriers. En éloignant leurs usines de Barcelone, les industriels s'assuraient la dépendance de leurs employés et la mise à distance des luttes syndicales alors naissantes. Nous avons quitté Josep avec la promesse de refaire comme il y a... trente-cinq ans (quoi? déjà ?) la visite de quelques uns de ces sites, précieux témoins de la vie industrielle.

Après avoir visité la crypte, église inachevée dont je reparlerai bientôt, et visité le parc où fleurissaient une quantité impressionnante de mauves, nous nous sommes attablés à l'Ateneu Unio, l'ancien espace culturel pourvu d'un café, qui fut l'une des premières réalisations mises à disposition des travailleurs. Leurs bocadillos de queso y jamon étaient une tuerie. Il était presque midi. Nous prenions notre petit-déjeuner. Une longue journée de visites et de rencontres pouvait commencer.
 
Ateneu Uniò / intérieur du café
(photographie tirée du site : https://www.fotografiescatalunya.cat/colonia-guell 
qui présente des images remarquables pour découvrir le site)


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