dimanche 20 octobre 2024

Regarder : deux plus deux plus trois

 
Intérieur bocal de poissons rouges / 1914 / Centre Pompidou
 
En franchissant hier le seuil déjà bondé de la fondation Beyeler, je me suis souvenue soudain de ce livre, Tableaux d'une ex, publié il y a au moins... trente-cinq ans par Jean-Luc Benoziglio. Il y est question d'une histoire terminée, décrite comme une fresque comportant plusieurs scènes, destinée à faire le portrait d'une femme aimée et à dépeindre la déliquescence progressive de leur relation. La personne concernée était prof de dessin et avait un chien qui aimait répandre ses étrons fumants dans leur minuscule jardin. L'auteur esquisse : C'était un braque qui s'appelait Matisse. Le contraire eut été étonnant.

 
Je commence à me demander de plus en plus souvent à quel moment aller visiter les expositions qui présentent des thématiques consensuelles, propres à attirer une majorité de visiteurs et à renflouer les caisses des musées concernés. Durant les week-ends ou en milieu de semaine ? Ça revient je crois au même. A l'ouverture ? Pas sûr. Une heure avant la fermeture ? Peut-être. A la pause déjeuner ? Tout le monde risque d'avoir eu la même idée. Le dernier jour ? On peut se voir confronté à la foule de ceux qui saisissent l'ultime opportunité. Il n'empêche : la rétrospective actuelle est stimulante et, entre deux têtes ou deux épaules, en surfant entre les groupes et les smartphones, on peut admirer l'évolution de cette peinture chargée de lumière, progressant à travers l'épure et la couleur, vers la plus simple joie de l'être.

Qu'as-tu préféré ? m'a-t-il demandé à la sortie. Pas facile de choisir parmi les quelques 70 œuvres présentées. J'ai hésité et puis :  Les poissons rouges, j'ai répondu. Il y en avait sept, très beaux, répartis dans trois bocaux. Apparemment, ce serait au cours de son voyage au Maroc au printemps 1912 que le peintre aurait été  captivé par ce sujet au point de le placer au centre d'une dizaine de ses peintures. Quoi d'étonnant que ces carassins vifs et vermeils l'aient puissamment inspiré ? Sur une toile conservée au musée Pouchkine à Moscou Matisse s'est même amusé à en peindre le reflet, si bien qu'on se demande s'il y en a quatre ou sept dans le bocal.


Poisson rouge et palette / 1914 / Moma / New-York


A quoi sert l'art ? Dans le fond, on ne cesse de se poser la question. A approcher le monde, à mieux le voir et le percevoir ? A connaître et à s'instruire ? A se consoler ou à se faire plaisir ? Quelles que soient les œuvres d'art - littéraires, sonores ou visuelles - il y a mille façons de l'aborder et mille leçons à en tirer. A chacun d'y trouver ce qui lui plait, ce qui le rend plus riche en savoir, en profondeur et en bonheur. En sortant, j'ai réalisé que ce que j'avais le plus aimé chez Matisse, c'est sa manière de ne pas hiérarchiser les genres ou les modèles. Tout pouvait participer au ravissement d'être au monde. Entre un personnage féminin, un bouquet de fleurs ou trois poissons rouges représentés, chaque élément était légitimé à prendre sa place, toute sa place, dans le tableau et à être saisi dans sa parfaite vitalité.
 
Poissons rouges et sculpture / 1912 / Moma / NY




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