mercredi 9 octobre 2024

Vivre : welcome!

 
décoration murale / Casa Romei / Ferrara
 
Elle était la reine discrète et menue d'un domaine où tout appelait à la sérénité. Dans le jardin étaient disposés divers ensembles qui invitaient à se détendre, à lire, à méditer, cuisine d'extérieur constituée de bric et de broc, tables vaguement anglaises attendant l'heure du thé, divans de fer forgés. Aucune barrière, aucun écriteau, mais chaque espace paraissait bien dessiné. C'était un endroit sans télé, sans piscine, sans air climatisé, un lieu au milieu de nulle part où chacun trouvait à se repérer. Le matin, les deux tables de la terrasse se couvraient de cent douceurs. On se serait crus à la table d'un prince trop modeste pour avoir besoin d'un palais : une grande moka fumante, des coupelles de confiture, des gâteaux aux fruits secs encore tièdes, de minuscules verres à yogourt en porcelaine immaculée, du pain finement tranché, des sandwiches à la bresaola et au fromage frais, des jus et une multitude de fruits provenant du verger. Un jour, elle avait présenté deux grenades savamment ouvertes et, comme nous n'y avons pas touché, nous avons craint de l'avoir un peu vexée.
 
Au premier étage se trouvaient les chambres. Elle nous avait attribué un logement constitué de trois pièces en enfilade, élégamment décorées. Des tableaux au fusain qu'elle avait esquissés, des draps anciens bien repassés. A chaque fois, j'avais l'impression de retourner dormir chez une grand-mère que je n'aurais jamais connue, mais que j'aurais tendrement aimée. Sa chienne s'appelait Lei, c'était une demoiselle au caractère bien trempé qui promettait de devenir une truffière affirmée. Senteurs de lavande et douceur du kaki, il n'y avait dans ce lieu aucune place pour le vacarme ou la vulgarité. Pas un mot de trop. Je me souviens, le paysan qui passait travailler au volant de son tracteur saluait en riant comme un seigneur désinvolte chevauchant ses terres. Après quelques nuits, nous avons dû quitter ce lieu avec la sensation d'être chassés du paradis.
 
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Déposition de la Croix / Rosso Fiorentino / Pinacoteca / Volterra
 
Sa maison se trouvait dans un quartier résidentiel, des villas récentes en bordure d'un village du Chianti. Elle nous a précisé à notre arrivée que c'était un lieu très bien habité et qu'une multitude d'événements chics y étaient organisés. Elle nous a montré la chambre qu'elle nous louait et avait décorée avec un penchant manifeste pour les bimbeloteries. Nous avons été saisis à la gorge par une forte odeur de parfum en bâtonnets.  Tout sentait le propre savamment organisé. Tout était rutilant et astiqué. Dans l'entrée, trois aspirateurs différents étaient parqués. Sur le buffet, une sorte de raquette de tennis en bleu fluo était allumée. Elle nous a expliqué que c'était un anti-moustique dernière génération et que cinq insectes venaient d'être grillés. Elle parlait beaucoup et beaucoup en chiffres. Nous avons appris le nombre de mètres carrés des propriétés du coin et de la maison qu'elle venait de vendre dans une ville renommée.  Elle avait un drôle de regard, qui vous scannait : on aurait dit qu'à vous observer elle pouvait deviner à combien vos revenus mensuels s'élevaient. Elle a tout de suite vu que P. n'avait pas de pédigrée. Elle a jeté un regard condescendant sur mes pantalons de voyage tout froissés (peut-être que ma valise Samsonite jaune l'a quelque peu rassurée ?). 
Durant les quinze premières secondes, j'ai ressenti une très forte envie de fuir  Puis, je me suis raisonnée : une nuit, une seule nuit, une erreur de casting, avant de vite décamper. Dans la rue, j'ai remarqué que toutes les places de parcage étaient dûment serties d'une chaîne accompagnée d'une plaque "privé". Un voisin est passé. Il affichait lui aussi un regard scanner et le visage de ceux qui font vrombir leur moteur aux feux quand ils sont arrêtés. Il tirait un petit caniche blanc et semblait fier de pouvoir ouvrir un portail gris métallisé entre deux haies. J'ai frissonné. Mentalement, j'ai évalué si, à dix-huit heures, il serait encore possible de trouver en ville une chambre décente acceptant les toutous. Une seconde fois, je me suis raisonnée. Une soirée à Sienne nous attendait. J'ai visualisé les verres de Campari sur le Campo, le Palazzo pubblico et le ciel dont le bleu allait bientôt se sertir d'étoiles dorées. Juste une nuit. Elle a demandé si nous pensions prolonger notre séjour. J'ai visualisé Dante traversant l'enfer. Ô cauchemar. Totalement impossible, ai-je prestement répliqué, avant de repartir en voiture pour une soirée qui, elle, ne serait pas gâchée.

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