Le repas frugal / Pablo Picasso / Kunstmuseum / Basel
A les voir descendre et remonter, descendre de petits sacs et de petites caisses contenant du bric-à-brac auquel ils trouvent encore de l'utilité, remonter pesamment, les mains vides et le corps toujours plus accablé, ils provoquent un sentiment qui tient de la pitié, de la tristesse et d'une sorte d'impatience. On voudrait les secouer. Leur dire qu'ils ont eu du temps, beaucoup de temps, pour se préparer et que là où ils vont il serait souhaitable de partir légers. La jeune famille qui leur a acheté la maison est en droit de s'installer. La mère surveille les petits et s'efforce de ranger. Mais eux sont encore là, toujours là, à poser, et reprendre, et charger leur voiture pour des allers-retours qu'ils ne savent achever. Il y a quatre jours que le délai a expiré et quarante semaines déjà que la date est fixée. Mais ce sont quarante ans de vie qu'ils ne peuvent pas lâcher et quatre mois n'ont pas suffi à tout organiser. Ils ne voulaient aucune aide et leurs enfants ont fini par renoncer. Alors, ils vont et viennent, ils vont et ils reviennent comme pris dans un deuil qui ne trouve pas à se faire. La perte d'une maison, c'est comme la perte d'un être cher et voir celle-ci qui n'est déjà plus la leur, s'ouvrir et s'offrir, prête à d'autres avenirs, leur lacère le cœur. Alors ils s'arrangent pour y laisser encore quelque chose, encore quelques jours qui leur appartienne et les autorise à revenir.