La visite de marchés locaux fait partie intégrante de mes vacances. Durant ce dernier séjour piémontais, dans plusieurs vallées montagnardes jouxtant la France, je m'étais promis de visiter au moins un marché villageois par jour, le dernier étant celui où j'allais pouvoir acheter des fruits et légumes pour la semaine à venir. Le minuscule marché de San Giovanni, à l'entrée de la vallée du Pellice n'était constitué que de producteurs du coin. Je me suis approchée de pommes parfumées vendues à un euro cinquante le kilo, mais le garçon derrière l'étal m'a invitée à jeter un coup d’œil aux deux caisses de fruits pimpants (quoi que légèrement tavelés) qui se trouvaient à côté pour cinquante centimes le kilo (eh oui! être tavelée pour une pomme, ça ne pardonne pas). J'ai donc décidé d'en emporter trois kilos, mais le vendeur m'a suggéré de profiter de l'action du jour : cinq kilos pour deux euros. Dès lors... j'ai embarqué un immense sac, auquel se sont jointes des fraises, des asperges et des courgettes désireuses de se faire déguster sous d'autres cieux.
C'est alors que je tendais mon billet, que je L'ai aperçue. Par-delà la place (en réalité : une petite prairie), faisant face à l'église Saint-Jean Évangéliste, Elle se tenait là, légèrement en surplomb, sublime, recouverte d'une immense glycine sans doute centenaire qui était en train d'achever sa floraison. Coup de foudre : MA maison idéale m'attendait. Grande, se prolongeant sur deux étages, probablement sertie d'un joli jardin à l'arrière, noble, un peu fatiguée, appelant des présences attentives pour la ramener à la vitalité et à la lumière.
Puisqu'il est permis de rêver, rêvons, ai-je pensé. Tandis que R. conduisait sur l'autoroute, j'ai entrepris des recherches. Peut-être que la belle endormie venait d'être mise en vente ? Et peut-être même pour un prix raisonnable étant donné les menus travaux à entreprendre ? Pourquoi ne pas rêver alors que quelques instants auparavant de belles pommes m'avaient été offertes à prix cassé ? Au bout de quelques minutes, hélas, j'ai dû déchanter. La maison était en effet inhabitée depuis plusieurs années, mais la noble demeure venait tout juste d'être vendue. J'ai soupiré en me disant qu'il s'en était fallu de peu, à peine quelques semaines et j'aurais pu tenter ma chance.
Néanmoins, j'ai appris que la casa del glicine, comme on la mentionnait sur la carte Google, avait accueilli l'écrivaine Alba de Cespedes, romancière d'origine cubaine, femme audacieuse et grande voyageuse, et que celle-ci y avait effectué plusieurs séjours avec son second époux, originaire de la vallée.
J'ai eu besoin de quelques kilomètres, plusieurs minutes pour digérer la nouvelle. Le temps de faire le deuil d'une demeure où je m'étais projetée d'instinct, sous le coup d'un élan puissant. Et puis je me suis consolée en imaginant l'autrice écrire derrière ces murs, chuchoter des mots doux à la glycine protectrice et peut-être croquer entre deux séances de travail dans des pommes aussi parfumées que celles qui embaumaient à l'arrière de ma voiture.
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