mardi 20 mai 2025

Voyager : remonter jusqu'à la source

 


En arrivant dans le palazzo Marchionale de Revello, un employé nous a indiqué qu'il suffisait de grimper les escaliers pour atteindre la chapelle. Puis, un de ses collègues a précisé que selon le protocole il fallait s'adresser d'abord à la préposée à l'office du tourisme. La dame nous a reçus avec tout le sérieux nécessaire. Elle nous remis divers dépliants, puis nous a accompagnés au premier étage tout en nous expliquant que le développement du village et de la vallée s'étaient arrêtés dans les années soixante-dix quatre-vingt. Pas de grandes réalisations, par conséquent, pas d'hôtels ni de structures renommées. Elle s'est enquise de notre nom, prénom, provenance, qu'elle a notés soigneusement sur une quittance où elle a tracé un grand zéro, puisqu'en raison d'une exposition temporaire d'artistes locaux, nous avions droit à la gratuité. Nous l'avons chaudement remerciée. Elle nous a alors laissés pour aller s'occuper d'une classe en visite et nous avons pu admirer et photographier la chapelle, décorée à fresques sur commande de Marguerite de Foix et achevée en 1519.
Ensuite, la responsable de l'office du tourisme, qui officiait également en qualité de bibliothécaire et de guide, est revenue nous demander si nous pouvions lui rendre un service : entrer dans la salle où les enfants regardaient les sculptures de la région et... faire simplement les touristes. Juste pour qu'ils s'habituent à voir des étrangers... Nous nous sommes exécutés, c'est-à-dire que nous avons regardé attentivement les toiles et les œuvres, dont certaines étaient touchantes de sincérité. 
Les enfants étaient regroupés à l'entrée... c'étaient des enfants qui avaient dans les yeux une douceur incrédule, des enfants qui ne semblaient pas avoir de tablette ni être habitués à chahuter, des enfants qui écoutent la maîtresse et lèvent la main avant de parler. J'ai senti ma gorge se nouer. Il y a des moments comme ça où le temps s'arrête, où quelque chose de précieux, venu d'on ne sait où se met à circuler. On voudrait se tapir dans un coin et ne plus repartir. 
Je ne sais plus trop comment m'est revenu en mémoire ce livre, Cristo si è fermato a Eboli, que le turinois Carlo Levi a écrit sur son expérience de confinamento en Basilicate durant les années de fascisme. Dehors, le ciel était d'un bleu très pur. Et il émanait de cette salle, de ce village, de ces rues paisibles l'atmosphère vaporeuse d'un temps révolu. On se trouvait à soixante kilomètres de Turin, la quatrième ville d'Italie et l'une des plus polluées, et ici des enfants paraissent dialoguer avec les étoiles. Avant que nous repartions, la dame nous a conseillé d'aller le jour même aux sources du Pô, c'était une journée parfaite pour la montagne, et il y aurait sur notre route ce village, Crissolo, où le temps s'était vraiment arrêté. Elle a ajouté qu'il nous fallait être prudents et prévoir suffisamment d'essence, et d'huile, et avoir naturellement de bons freins sur le petit chemin qui conduisait au refuge de Pian della Regina. C'est là-haut, avec une pointe de regret et une infinie curiosité, que nous nous sommes dirigés, là où le jeune fleuve qui ruait comme un cabri se mettait à bondir à travers les pâturages.
 


 

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