mardi 13 mai 2025

lundi 12 mai 2025

Vivre : les moments sparadrap

 
 
Polyptyque de la Miséricorde / Piero della Francesca / Museo civico / Sansepolcro
 
Ces moments où la vie se met à vous parler (parfois à vous mettre en garde, souvent à vous tancer), ces petits accrochages, cette goutte de sang perlé, ce lambeau de peau que le four a frôlée, la vie vous parle, mais sans aucune méchanceté, la vie vous dit : tend l'oreille, écoute mon appel, cesse d'esquiver, cesse d'éviter ce que j'ai à te dire, prends toutes les mesures. Oui, la vie vient vous parler de vos besoins et si vous ne voulez pas l'écouter, la vie, gentille, se met tout d'abord à vous égratigner. Puis il y a les maladies, à divers niveaux d'intensité. Et ces méchants murs que vous risquez de vous prendre en plein nez. La vie ne cesse de parler. Pourquoi passe-t-on son temps à ne pas écouter ?
 
 

dimanche 11 mai 2025

Vivre : nul vent ne fait...

 
 
Série Jardin / 2021 / Valentine Schopfer

 
Ce problème, quasi insoluble, à me mettre martel en tête, 
ce problème à tant d'inconnues et avec tant de paramètres, 
le voici dissous, simplement et miraculeusement évaporé, 
Suffisait que les objectifs soient correctement posés.
 

samedi 10 mai 2025

Vivre : en société

 
Cristo in Pietà con simboli della Passione / Nicolò di Pietro Gerini / Museo nazionale d'arte Medievale e Moderna /Arezzo
 
Un conflit ? Si vraiment c'est nécessaire, oui. 
Mais vraiment nécessaire, hein, parce que moi...
j'ai bien d'autres choses à faire. 

vendredi 9 mai 2025

Vivre : écoulements

 
Monument à Giovanni Battista Tempesti / Camposanto / Pisa
 
Comme surgies de nulle part, les larmes coulaient de mon corps et le temps que j'arrive au sommet et que je sente le souffle du vent, je devais vraiment prendre sur moi pour arrêter de sangloter. A croire que la vitesse de l'escalator m'entraînant dans son ascension était l'expression physique d'une conversation que j'entretenais avec moi-même. [p.9]
 
Je me suis proposé récemment de relire la trilogie biographique de Deborah Levy. Dans Ce que je ne veux pas savoir la narratrice part du jour au lendemain à Majorque parce qu'elle se trouve dans une phase compliquée de sa vie et qu'elle se met à pleurer dans les escaliers qui remontent du métro londonien. Ce qui refuse de rester encore confiné dans les profondeurs et demande à voir le jour, ce sont des souvenirs sud-africains et des souvenirs d'exil, ce qu'elle sait, mais qu'elle avait jusque là relégué aux oubliettes de son existence.
Dans le train, hier, je rentrais d'un rendez-vous chez mon ophtalmologue - une femme charmante qui m'a donné de bonnes nouvelles quant à ma capacité à voir clair - mais ensuite, sur ma banquette, j'ai levé soudain les yeux de mon livre. J'avais ressenti des larmes qui se bousculaient pour atteindre mes paupières. Comme si elles voulaient les laver encore, comme si mon ophtalmologue n'avait pas achevé son travail et qu'il y avait encore des points à nettoyer. Je lisais une écrivaine qui se rappelait de son enfance - l'emprisonnement de son père, le départ inévitable dans un pays où il était si difficile de porter les bons vêtements à la bonne saison - et, comme elle, j'avais terriblement besoin de ne pas vouloir me souvenir des exils de mon enfance. 
J'ai voulu retenir mes larmes. Mais les larmes étaient impossibles à retenir. J'ai réalisé que toute ma vie je m'étais efforcée de contrôler mes pleurs, d'évaluer la légitimité de leur flux. Je considérais qu'il y avait des larmes qui avaient lieu et d'autres qui n'avaient pas lieu d'être. Je voulais imposer une bienséance à mes larmes, fondée sur la douleur, le deuil, les événements traumatiques attestables. Tandis que les larmes d'hier se fichaient pas mal de prouver leur légitimité : elles tenaient à s'exprimer, à être entendues et me forçaient à voir plus clair que ne l'avait fait la doctoresse dûment diplômée. C'étaient des larmes indociles, terriblement rebelles, envoyées par l'enfant que j'avais été.
Alors que le laitier déposait des bouteilles sur le pas de notre porte dans un bruit de verre qui s'entrechoque, j'ai soudain compris pourquoi les pots de miel, de beurre de cacahuète et les bouchons de ketchup n'étaient jamais au bon endroit dans notre domicile familial. Ces couvercles, comme nous, n'avaient pas d'endroit à eux. J'étais née dans un pays et j'avais grandi dans un autre, mais je ne savais pas trop auquel j'appartenais. Et autre chose. Je ne voulais pas le savoir, mais je le savais quand même. Remettre un couvercle à sa place revenait à faire comme si nos parents étaient à nouveau ensemble, vissés l'un à l'autre, plutôt que chacun dans son coin. [p.124-125]
Ce que je ne veux pas savoir, Déborah Levy, 2021, éditions du Sous sol, trad, Céline Leroy
 
 

jeudi 8 mai 2025

Vivre : se tirer d'affaire

 
Sans titre / Léonor Fini / 1960 / Arles Dessin 2025
 
 
 
La rage : carburant, décrié mais irremplaçable, pour nous tirer des embarras les plus nuisibles
 

mercredi 7 mai 2025

Vivre : l'art de patiner ensemble

 
Les Patineurs / Johan van Hell / 1919 / Ass. Amis Petit-Palais / Genève
 
Ils se prénomment Anne-Marie, Camille ou Hervé. Ils ne se connaissent pas. Ils n'ont pas le même âge, pas les mêmes fonctions, pas les mêmes intérêts. Mais ils sont réunis par quelque chose de plus solide que du fil de fer galvanisé. Il et elles sont des trésors chacun à leur manière. Ils font chaque jour, et sans imaginer pouvoir s'en vanter, de la manière la plus naturelle, en toute simplicité, ce travail de tissage si nécessaire, qui consiste à créer des liens en société. 
Salon de coiffure rempli de dédicaces et de dessins, de bouquins et de bouquets où se croisent des ménagères, des chanteurs de passage, des retraités, des étrangers. Quelques poètes. Chacun a son mot à dire, une affichette à épingler. On évoque le prix créé dans le quartier, qui vient d'être décerné à une vigneronne bio pour son roman publié l'an dernier. 
Librairie où déboulent des représentants et des mamies en catogan, des vieux intimidés et des écoliers effrontés, des secrétaires organisant un festival de romans policiers. Quelques curieux demandant à être inspirés, quelques rimeurs aspirant à être édités. En vitrine, un livre énorme sur Pompei et un opuscule inédit, La Maison, de Julien Gracq (paru évidemment aux éditions Corti).
Petit hôtel où se mélangent sans façon les milieux, les confessions et les âges, loin des tendances, des tarifs exorbitants et des clivages. Une table de boissons offertes en toute heure. Des tableaux exposés pour les amateurs. Un fauteuil toujours libre pour les rêveurs.
La seule formule gagnante ici comme là-bas, c'est que chacun trouve sa place. Autour d'un livre ou d'un petit-déjeuner, pas besoin d'opinions et d'origines partagées pour se rencontrer. Pour échanger. Échanger ne signifie en aucun cas vouloir en imposer, ni se taire ni s'en laisser conter. Échanger, c'est l'art d'être au monde en toute perméabilité.