Les photographies de Steve Mc Curry ont beau avoir fait le tour de la terre et la fortune du National Geographic Magazine, entre autres, il a beau avoir une grande expérience du terrain et des conditions de reportage extrêmes, l'esthétisation de la misère, les couleurs saturées, les poses bien orchestrées, ça ne m'émeut pas, ça m'attristerait plutôt. J'ai parcouru attentivement les visages, les paysages exposés, avec une sensation de malaise croissante. Je n'y ai trouvé que peu de sensibilité. Seulement une recherche de beauté standardisée, des images de carte postale sur fond de guerre et d'atrocités.
Sharbat Gula en 1985 et en 2002
Le malaise s'est intensifié devant la vidéo qui relatait les recherches entreprises au début des années 2000 pour retrouver Sharbat Gula, dont le photographe n'avait pas noté l'identité. Gros moyens mis en place pour retrouver la "Mona Lisa des temps modernes". Envoi de reporters, appel à des spécialistes pour comparer les yeux et le faciès (des médecins, et même recours au FBI), négociations avec l'entourage masculin de la jeune femme pour obtenir la possibilité de l'approcher. Devant la caméra, la femme semblait intimidée, terrorisée même. Une bête traquée. Traquée pour quoi? Pour un nouveau reportage? Pour assurer de forts tirages, pour du sensationnalisme ? Cette femme a souffert, comme des milliers et des milliers d'autres femmes de son pays. Son visage porte les marques de toutes les épreuves traversées. Elle était devenue au fil des ans un mythe sur papier glacé. La voici à présent timorée, durcie par l'existence, manipulée par les médias. Pitoyable, la manière dont la couleur de ses yeux a été modifiée pour l'assortir à son voile. Pénible, vraiment, l'impression de voir un être humain malmené à ce point. Sharbat Gula, l'icône, n'existe pas. C'est un rêve, une construction, une élaboration esthétique qui fait vendre. Sharbat Gula, la femme, lutte et se débat depuis des années pour survivre dans un monde dominé par les hommes, la pauvreté, la guerre et l'exil. C'est peut-être là que réside la beauté, dans ce décalage, dans cette émotion qui nous saisit face à des vies broyées.
Steve Mc Curry. Icons / Scuderie Castello Visconteo / Pavia / 03.02 -03.06.2018
Coucou ma chère Dad. Et bien... voilà une exposition que tu n'as pas appréciée et je comprends tout à fait ton point de vue. J'ai déjà de la peine avec le concept de photos de reportage en pleine guerre et qui deviennent ensuite des images que l'on brandit en vantant leurs qualités esthétiques. Oui pour rapporter au reste du monde les atrocités que vivent des individus dans des pays en guerre dans un soucis d'information mais sans parler d'esthétisme. C'est hors de propos et mal venu. Bises alpines et je t'écris plus tard dans la journée. ;-)
RépondreSupprimerSoit on fait de la photo d'art, soit de la photo de reportage, c'est le mélange entre les deux, l'ambiguïté qui crée un profond malaise. Et il fallait voir les vidéos montrant McCully amical et humain, allant à la rencontre des populations, ça frisait l'indécence. Quant au reportage sur la recherche de cette malheureuse femme et son identification, plus j'y repense, plus j'ai envie de gerber. En ce qui concerne tes nouvelles, je les souhaite favorables à tes projets...
RépondreSupprimerCela me fait penser aux deux populations, celle qui regarde et celle qui souffre. L'absence d'empathie, d'humanité d'un côté et de l'autre, celle qui subit, qui est l'objet. Il n'y a même pas l'envie d'émouvoir, d'appeler à des dons ou autres. C'est la beauté de la violence, de la guerre, de l'exploitation, de la destruction sur papier glacé. De plus de nos jours, s'il n'y a pas de photos, pas d'images... il n'y a rien, le silence, l'oubli. Mais les photos glacées sont pire que l'oubli, c'est le déni.
RépondreSupprimerBonjour, Paul, tout à fait d'accord : il y a un déni de la souffrance dans la recherche d'esthétisation. La photographie de reportage devrait donner à voir du vrai. Sinon, on commet un détournement d'information, ce qui peut être encore pire que l'oubli. Merci pour cette remarque.
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