vendredi 13 avril 2018

Vivre : still life / 41





La fille était en train de payer sa paire de jeans devant moi. Je ne voyais pas son visage mais, de dos, je devinais son élégance : chignon déstructuré, silhouette déliée, et surtout, surtout, des bottines extraordinaires, en cuir fatigué, griffé, des bottines qui avaient dû connaître des tas de pays et de pavés, des bottines qui en avaient vues d’autres et se foutaient des nouveautés. Et puis, son sac, en cuir assorti, usé, patiné par les années. Ces accessoires étaient tellement beaux qu’ils pouvaient faire la nique au temps et aux tendances.

Alors j’ai repensé à mon bon vieux sac aviateur, un sac Il Bisonte qui me suit depuis la nuit des temps. Un de mes chats s’était violemment acharné sur lui un jour de forte contrariété. Je l'ai traîné un peu partout, ai longtemps oublié de le graisser, mais le cuir a tenu bon : cette besace en bandoulière ne me lâchera jamais. Je me souviens, il y a très très longtemps, avoir arraché une page de publicité et l'avoir remise à R. qui devait se rendre à Paris pour un aller-retour professionnel. La boutique était à l’autre bout de la ville, il avait couru, obtenu le dernier sac en stock et réussi à attraper son train de justesse.

Les choses ne sont pas seulement des choses, elles portent des traces humaines, elles nous prolongent**. Notre amour et ce sac sont faits du même cuir, increvable, un corps à corps, une histoire avec ses mythes et sa préhistoire, et une multitude d'histoires mises bout à bout, qui s'enchaînent et acquièrent de la valeur au fil des années.

**Lydia Flem, Comment j'ai  vidé la maison de mes parents.

3 commentaires:

  1. Ton histoire de sac me fait penser à mon sac en cuir que ma maman m'avait acheté quand j'ai débuté mon collège. Il m'a accompagnée pendant des années et des années. Et puis un jour, il m'a dit qu'il en avait marre, qu'il était fatigué de me suivre dans les salles de cours, de porter mes livres et de traîner mes feuilles de séminaires. Il voulait prendre sa retraite. Je la lui ai accordée, non sans tristesse car il avait été un fidèle compagnon d'apprentissage. Il était tout usé et c'est un peu de mes jeunes années d'étudiantes qui est parti avec lui.
    Bises alpines et pensées émues pour nos sacs.

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  2. A propos d'émotion, je t'avouerais que j'ai lu ton post du jour quasiment les larmes aux yeux. Une page se tourne et dès lundi de nouvelles aventures t'attendent. Je crois que tu iras avec, en bandoulière, toutes ton expérience, et qu'elle est au moins aussi solide et fiable que le cuir de mon sac. Profite de ce beau WE et... n'oublie pas de donner des nouvelles! D.

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  3. Ne t'inquiète pas, je donnerai des nouvelles régulièrement. Et puis je compte bien continuer à publier sur mon blog, peut-être de manière moins régulière mais je me rends compte que ce blog a été également très bénéfique pendant les heures sombres. J'ai regardé l'autre jour les différents textes qui ont suivi ce chamboulement et j'en avais aussi des frissons d'émotion. Merci pour ton soutien. Dans mon sac de lundi, il y aura un sourire, mon expérience mais aussi de la prudence et plein de bonne volonté. Bises alpines.

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