jeudi 18 juillet 2019

Vivre / regarder : deux filles




Silver Room / Tia Thuy Nguyen / Chateau Lacoste / Le Puy Sainte Réparade

L'une était brune, l'autre était blonde.
La première consultait le plan du domaine. Elle recherchait frénétiquement une installation bien précise. Nous lui avons indiqué la direction, à peine deux cent mètres plus haut, sur le chemin de terre battue. Elle nous a expliqué qu'elle arrivait de Saïgon, qu'elle avait atterri le matin-même à Londres après quatorze heures de vol et qu'elle faisait expressément le voyage pour découvrir le travail qu'une de ses amies venait de réaliser. Elle a ajouté vivement que celle-ci était une artiste protéiforme très douée, une vidéaste et une designer reconnue. Elle avait l'air si fière de cette amie, que je lui ai demandé son nom. Elle a prononcé des sons spongieux auxquels je ne parvenais pas à raccrocher de voyelles ni de consonnes. Je n'ai pas osé lui demander de répéter.
Quand nous sommes parvenus à l’œuvre, Silver Room, elle l'a longuement examinée, parcourue, photographiée. Nous les avons laissés, elle et son compagnon, pour qu'ils profitent pleinement de leur visite. Mais, à la réflexion, je crois qu'elle aurait préféré nous voir en admiration devant le travail de Tia Thuy Nguyen, oui je crois qu'elle aurait préféré trouver dans notre regard une admiration éperdue qui reflétât au moins partiellement la sienne. Pour autant que j'aie pu le constater, aucune autre œuvre - et dieu sait si le parc en abritait - n'a retenu son attention par la suite. Elle avait fait tout le trajet, comme un long pèlerinage, pour atteindre la chambre argentée de son amie Tia Thuy. Quand je me suis approchée un peu plus tard, j'ai compris son enthousiasme : le cube en argent se trouvait au cœur d'une cathédrale aérienne et, à l'intérieur, un symbole, une divinité, invitait à la présence et au recueillement.
 

 Dead End / Sophie Calle / Château Lacoste / Le Puy-Ste-Réparade

L'une était brune, l'autre était blonde. La seconde était vive, enjouée, portait joliment son panama et elle nous a dit venir de Paris. Elle s'extasiait de tout. Elle voulait tout voir. Elle caressait les chiens. Elle prenait amoureusement son ami par la main et, devant Dead End, où Sophie Calle invitait les visiteurs à enterrer leurs secrets, elle a écrit beaucoup de mots avec le stylo que je lui avais prêté. Elle devait avoir de nombreux secrets. Ou alors, un secret très complexe. Pendant que j'attendais, je posais les yeux sur la dalle en marbre, ici reposent les secrets des promeneurs, je me suis étonnée à n'avoir rien à noter. Vraiment : rien. Ce n'est pas que j'aie envie de tout dire de moi et que j'aspire à la transparence. Non. Mais il n'est rien dans ma vie que je ne puisse partager avec un autre être humain et, dès lors, je ne pense pas porter de véritable secret en moi. Rien à cacher absolument, tout à protéger résolument. La fille m'a tendu mon Parker les joues rosies par la chaleur et l'épanchement. Elle est partie en sautillant.

L'une était brune, l'autre était blonde. Elles étaient belles, elles étaient jeunes, elles étaient passionnées. Elles avaient des manières différentes, complémentaires d'habiter l'été.

1 commentaire:

  1. Château La Coste? Je n'y suis pas encore allée cette année mais ça me donne envie.

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