vendredi 12 juin 2020

Lire : dans la lumière des saisons



Il est des écrivains que je préfère entendre plutôt que lire. Leurs paroles, leur histoire me parlent infiniment plus que leurs œuvres. Souvent, enthousiasmée par une interview, je me rue sur un de leurs bouquins et je finis par l'abandonner, parce que je n'y trouve pas la vivacité, ou l'humanité ou le style qui m'avaient charmée à l'oral. 
Il y a quelques années, ayant entendu Charles Juliet converser avec François Busnel, j'avais trouvé l'homme très sage. Sa vie, me semblait-il, était terriblement romanesque et émouvante. Peu après, je m'étais empressée de me procurer un de ses ouvrages. Je me souviens de mon enthousiasme en sortant de la librairie Kleber. Hélas, l'écriture m'était apparue conformiste et fade. A tel point que je ne me souviens pas du titre (peut-être était-ce un de ses journaux ?) Profondément déçue, j'avais confié le bouquin à la caisse aux échanges du village en lui souhaitant d'être mieux compris ailleurs.
Là, à quelques années de distance, je viens de parcourir Dans la lumière des saisons, un opuscule dans lequel C.J. s'adresse à une amie lointaine par le biais de quatre lettres. Une rédaction pour chaque saison.
Le style est sans doute toujours la même, simple et classique. L'inspiration autobiographique. Ce n'est pas une écriture destinée à bousculer les conventions, ni à suivre une quelconque tendance, ni même, je crois, à émerveiller. C'est le travail d'un écrivain posé, enfin apaisé, déterminé à creuser et décrire ce que c'est que l'existence, de la manière la plus précise et la plus accessible qui soit.
Dans la missive estivale, il transmets à son amie des notes qu'il vient de retrouver. Ces quelques écrits, épurés, tamisés, frappent par leur profondeur et leur beauté :

Pour ne pas meurtrir
ce silence où germent mes mots
où que je sois
je parle bas.

Toute intention tout vouloir
empêche l'inconnu de se révéler.

Il est tant de refuges
tant de manières
de fuir d'éluder
de déserter la vie.

Ceux qui haïssent leur moi
mais ne peuvent s'en libérer.

Vie sauvage tumultueuse imprévisible
Par peur qu'elle nous entraîne
là où nous redoutons d'aller
nous nous empêchons de vivre.

J'ai trop voulu
ne pas vouloir.

Ce que je vis
n'est pleinement vécu
que si je le mets en mots.


 P.O.L, 1991.


4 commentaires:

  1. C'est toujours intéressant les différences de perception. Je me souviens de l'émission de TV que tu évoques. J'avais trouvé Juliet particulièrement triste, pour ne pas dire décevant.
    Précédemment j'avais lu « lumières d'automne » (un des volumes de son journal) que j'avais beaucoup aimé. À l'époque j'avais même fait plusieurs billets sur mon blog à ce sujet. J'avais envoyé le tout à l'auteur dont une amie m'avait donné l'adresse personnelle. Je n'attendais aucune réponse : je n'ai pas été déçu, j'en ai eu aucune. Finalement il faut lire les livres… et puis c'est tout !

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  2. Ce n'était pas à la télévision. C'était le "Grand entretien" sur France Inter. En 2012. Peut-être que C.J. était plus à l'aise dans un studio, en dialogue, que sur un plateau, avec tous les spots, les caméras, qui sait ?
    Peu importe. Une bonne interview peut me nourrir autant qu'une bonne lecture. Mots écrits, ou paroles prononcées, ce que je recherche, c'est une découverte, une ouverture, quelque chose qui me porte à réfléchir, ou à méditer, ou à rêver.
    Le roman que je suis en train de lire ces jours-ci cite, par le plus grand des hasards, une chanson que j'écoutais en boucle à vingt ans. J'ai lu 5 vers et je me suis mise à fredonner. Et tout un pan de ma vie s'est rouvert.(En plus, le bouquin est bien construit, avec un joli style. Je sens que j'irai jusqu'au bout.)
    Il faut se sentir libres avec les livres et en profiter. Ou... les laisser.
    Toute belle soirée à toi.

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  3. Regarder le ciel
    et entendre
    battre son cœur

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