dimanche 6 juin 2021

Voir : au carrefour des vies

 

 
Visionné hier soir "En attendant les hirondelles", premier long-métrage de Karim Moussaoui, un jeune cinéaste algérien. Cette œuvre présentée en 2017 au festival de Cannes propose un regard neuf et marquant sur l'Algérie contemporaine à travers trois personnages : un homme dans la soixantaine, tiraillé entre ses devoirs et ses lâchetés, une jeune femme sur le point de se marier, hésitant entre raison et passion et finissant par opter pour la sécurité, un médecin rattrapé par son passé alors qu'il met tout en œuvre pour se ménager une place au soleil.

Dans ce  film, on croit toujours voir arriver le drame. On s'attend au pire, mais le pire justement n'arrive pas. Ce qui arrive, c'est ce qui mène les personnages à leur choix - ou à leur choix de ne pas choisir, ce qui revient au même. Le drame n'arrive pas, parce que le drame est déjà là : dans la situation du pays. Les contradictions entre tradition et perspectives bouchées, les blessures de l'Histoire jamais cicatrisées, la corruption, la violence omniprésente sont évoquées en arrière-fond.

Le film est porté par des paysages sublimes, rugueux et désertiques et par la cantate "Ich habe genug" de Jean-Sébastien Bach. La caméra balaie des banlieues dont on ignore si elles sont en train de se construire ou de se déliter. Elle filme aussi des gens en train de danser, mais pas des danses de salon ou de boîte de nuit, des danses où l'on se donne à corps perdu, désespérément, comme si elles étaient le seul lieu où les désirs trouvent encore à s'exprimer.
 
Chaque personnage semble oppressé par un fort sentiment d'impuissance. Personne ne se perçoit maître de son destin.  Cela pourrait être triste, plombant, mais il y a une image qui émerge quasiment à la fin. Le médecin, que les ragots commencent à atteindre, soupçonné d'avoir pris part à un viol collectif, s'insurge : il avait été appelé par une bande de terroristes en tant que médecin et s'est vu réduit au silence, incapable  de s'opposer, seul, quand une femme a été abusée. La femme l'a retrouvé. Elle lui réclame en guise de rachat pour sa non-intervention qu'il s'occupe de son fils, né après le drame. Le neurologue revient sur ses pas et s'assied à terre près de l'enfant de dix ans, oiseau blessé qui pousse des cris lacérants, pour aller le rejoindre au fond de sa souffrance. 

Dans ce film, on attend les hirondelles, on attend le printemps. On espère pour ce pays traumatisé que le médecin saura trouver le chemin, que son regard saura rejoindre le regard de l'enfant pour le ramener à la vie et lui  donner quelque confiance en l'humanité.

4 commentaires:

  1. Je n'ai pas vu le film, mais ton billet, très intéressant, semble montrer à travers plusieurs histoires quand même tragiques, l'extraordinaire imbroglio dramatique dans lequel se trouve l'Algérie depuis des lustres.
    Même le titre est terrible. L'impossible printemps. Et en même temps une cantate de Bach [magnifique, au demeurant…] «je suis comblé/ trop c'est trop », propos du vieux Siméon reconnaissant l'enfant Jésus comme le sauveur… et qui dès lors en appelle à la mort.
    Quel terrible manière de symboliser l'impasse. Ce n'est pas le drame qui risque d'arriver, c'est déjà la désespérance installée définitivement…
    (enfin, je perçois de cette manière, mais je répète que je n'ai pas vu le film, Mais je désespère pour ce pays qui a avec la France une histoire bien compliquée et complexe…)

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    1. On entend beaucoup parler de l'Algérie ces derniers temps. Un pays qui me fascine depuis longtemps. Il y a bien sûr le rapport de Benjamin Stora. Mais aussi pas mal d’œuvres, littéraires ou autres. Lucas Belfaux vient de sortir un film, "Les Hommes", tiré d'un roman de Laurent Mauvignier (avec Depardieu et Daroussin, ça promet d'être bien joué). Il faut que j'aille le voir s'il passe ici.
      Quant à la cantate, c'est une œuvre très belle, qui donne un double message : un chant d'agonie apaisée. J'ai mis en lien la version de Natalie Dessay,plus vive, mais le film présente une voix d'homme (un contre-ténor ?). Une version ici : https://www.youtube.com/watch?v=XopQG0Gjgmo , plus grave et sombre. Oui, une musique qui reflète l'histoire complexe...
      Toute belle soirée à toi.

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  2. Je ne connais pas le film mais il me semble que la fin invite à l’espoir. Le titre également.
    Je veux le croire notamment pour un peuple meurtri.

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    1. Oui. Le film est sans concession, sans pathos, mais n'est pas désespéré. Il y a cette allusion au printemps, comme un espoir de quelque chose qui pourrait arriver.
      L'Algérie... je réalise que c'est le voyage que j'aurais envie de faire, vraiment, en priorité. Découvrir ce pays d'aujourd'hui, et partir sur les traces de Camus. Oui, aller visiter ce pays, le photographier et relire Camus sur le chemin. Un jour, peut-être... belle soirée!

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