mercredi 9 mars 2022

Vivre : un café, s'il vous plait

 
Hans Kleberger / Albrecht Dürer / Kunsthistorisches Museum / Wien
 
 
Depuis que nous connaissons l'homme - c'est à dire depuis pas mal d'années, maintenant - je me pose la question de savoir d'où il vient. Il est grand, solide, massif même, et s'exprime en bon français avec un accent prononcé. Au bout d'un certain temps, disons : quelques printemps,  j'ai fini par me pencher vers R. sur la terrasse et je lui ai demandé : "Tu crois qu'il vient de quel pays ?" Perplexes, nous avons écarté la possibilité qu'il soit un Latin. Il n'en a pas la faconde, ni la gaieté, ni l'empressement. Et puis, il porte dans le regard une sorte de tristesse, qu'il promène souvent par-delà les rives et les courants, le faisant glisser jusqu'aux sommets des Alpes lointains. Il semble y avoir quelque chose de slave dans son maintien. 
Le plus simple, naturellement, serait de lui poser directement la question et probablement qu'il nous répondrait sans façon. Le mystère serait résolu. Mais, plus le temps passe et plus l'interroger paraît compliqué. Ne pourrait-il nous trouver terriblement intrusifs ? Ne verrait-il pas dans notre curiosité comme une manière de lui signifier, vous n'êtes pas d'ici, vous êtes un  étranger ?
Au fil des semaines, nous avons fini par prendre des paris. Je crois l'homme serbe. Dans tous les cas, je l'imagine venant de l'ex-Yougoslavie. R. quant à lui pencherait plutôt pour un pays tel que la Hongrie.
Ce matin, quand l'homme s'est approché, il paraissait perturbé. Il a pris la commande avec un air peiné, puis il a dit qu'il en avait marre, marre de ce métier et il s'est mis à râler contre ces gens qui, même le dimanche, sont pressés, pressés de consommer, pressés de régler. Il a ajouté : "S'ils devaient partir à la guerre, ils ne seraient pas tellement pressés".
La piste de l'Est se profilait. Mais ce n'était pas le moment de chercher à la confirmer. Le mec avait l'air trop stressé.
Un jour, peut-être, il parlera de lui, de son histoire. Un jour, peut-être, je lui glisserai innocemment : "vous, vous avez un petit accent, vous ne seriez pas... italien comme moi?" Mais... pas tout de suite, il y a des étapes à respecter, et puis il est vrai que nous, on n'est vraiment pas pressés...

 

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