mardi 6 septembre 2022

Regarder : la fille du calendrier Agip

 
Un modèle posant pour le calendrier Agip 1974 / James Barnor
 
A mon retour d'Arles, après avoir observé des centaines de tirages, je rentre bien sûr enrichie par mes "rencontres", mais il y a toujours quelques images, une petite dizaine, qui m'ont particulièrement marquée, par lesquelles je suis happée au moment où je visite leur exposition, et que je regarde encore et encore bien après mon retour. 
Parmi elles, cette année, il y a cette photographie. Elle a été prise à Accra, capitale du Ghana, ex-Côte d'Or, en 1973 par le photographe James Barnor.
J'adore ce mannequin qu'on pourrait qualifier de "bien en chair" selon les canons de notre époque. Je suis attendrie par son sac un peu élimé, ses souliers pas vraiment bien lustrés, ayant l'air d'avoir tracé dans la poussière. J'aime le minibus un peu cabossé qui est stationné en arrière-plan, iindices d'une Afrique confiante dans sa jeune indépendance, persuadée d'être en marche vers le progrès. (Précisons que toutes les photos de cette rétrospective sont des portraits, qui montrent des personnes bien dans leur peau, alliant la santé avec la décontraction.)
Même sans connaissance particulière de la situation politique et sociale du Ghana en ce début des années 1970, cette image frappe par ce qu'elle porte d'optimisme. La  fille est magnifique : bien plantée sur ses gambettes, sa robe pratique, avec jupe-culotte, l'autorisant à jouer les élégantes, à se montrer séduisante, mais lui permettant aussi d'être libre de ses mouvements, de courir rapidement rejoindre les gens et les choses qui l'appellent. Une image de femme forte, prête à vivre sa vie. Derrière elle, le Combi VW de couleur verte dont elle est apparemment descendue (ou dans lequel elle pourrait s'embarquer). La rue est mal asphaltée, signe que le pays et le mode de vie ne sont pas riches, cependant ils donnent l'impression de rouler vers le progrès. Pas de chichis, pas de tralalas, mais une existence, une terre avec de multiples perspectives devant soi. 
La fille, le pays semblent symboliser l'Afrique de l'Ouest de ces années-là.
Le cliché a été pris il y a cinquante ans. Peut-être que cette photographie séduit parce qu'elle parle d'une époque où l'on pouvait avoir foi en l'avenir. Face à l'affirmation et à l'assurance de cette femme sur le papier glacé on s'interroge : si aujourd'hui le modèle avait une petite-fille, à quoi ressemblerait-elle ? quel portrait ferait-on d'elle ?

2 commentaires:

  1. La photo a été très « préparée » en amont par une équipe de prises de vue.
    Les éclairages de sources différentes, en particulier des réflecteurs pliables de type Tarion pour mettre en valeur la robe du mannequin, en témoignent.
    Ce qui donne une ombre du mannequin sur le sol qui n'a pas de type zénithal. (Comme il en est sur le Volkswagen).
    La photo est tout sauf un « instantané ». Chaque personnage pose. La voiture est à l'arrêt.
    Ceci peut être considéré à mes yeux comme un compliment à l'ensemble des participants à la production, pour leur professionnalisme.
    Cela permet à chaque spectateur d'inventer l'environnement et l'univers qui lui convient.

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  2. On peut toujours jeter un regard "froid", technique sur quelque image que ce soit (photographique ou picturale, par exemple analyser les repentirs dans les tableaux des grands maîtres, la nature de leurs pigments, gloser pendant des heures à propos de datations et d'attributions, etc etc).
    On peut. On peut aussi porter d'autres regards, s'intéresser à l'histoire, à l'époque où l'oeuvre a été créée. Insérer la lecture dans le contexte sociologique, s'intéresser à la commande, etc etc.
    On peut aussi se laisser aller à l'émotion, laisser venir les évocations et monter la curiosité (quand eut lieu l'indépendance de la Golden-coast ? quelle est la situation politique du Ghana actuellement ? les craintes de menaces jihadistes, la dette du pays, etc etc)
    Tant de choses sont possibles quand on observe et qu'on se laisse aller à la fois à l'émotion et à la curiosité. L'essentiel est de savoir rester ouverts et curieux (c'est-à-dire : intelligents). Après tout, c'est à ça que sert l'art (ou qu'il pourrait servir), non ?
    Très bonne soirée à toi.

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