vendredi 2 septembre 2022

Vivre : hâte-toi lentement

 
 

 
Le matin, sur la place, des battement d'ailes fendaient le silence, une brise charriait des senteurs de mer. La nostalgie de la Méditerranée toquait à nos fenêtres, on aurait cru entendre clapoter les vagues d'anciens étés. Les deux arbres présents frémissaient à chaque passage, se dodelinaient sous les premiers rayons. Mes sandales voltigeaient sur les pavés brillants. 
Dans la rue transversale, deux ou trois silhouettes mal réveillées se hâtaient vers leurs tâches mal aimées et mal rétribuées. Je me dirigeais lentement vers les figues violettes qui charmeraient notre petit-déjeuner. Le vendeur concentré, très occupé avec l'Uber, s'agitait à réceptionner, réceptionner encore et renvoyer. 
Devant la boulangerie, de larges sacs déversaient quelques grands pains galvaudés, qui pleuraient sur le trottoir leur vie de pain gâché. La gérante semblait avoir avalé une pile détraquée, brusquait dès potron-minet ses deux employés. Elle avait le don de parler haché, d'impulser l'urgence là où dans le fond il n'y avait rien à presser. Une dame lui disait : ça ne fait rien j'attendrai je repasserai. Mais la gérante n'écoutait pas. Elle voulait tout régler, tout de suite, absolument. Elle disait à la dame : je vois bien que  vous êtes stressée. La dame souriait, gênée, me lançait des s.o.s bien éduqués. 
On aurait aimé pouvoir prendre la gérante par la main, tout doucement, juste pour quelques instants, et la conduire sur la place, la conduire à la fontaine où les pigeons et les moineaux s'ablutionnaient gentiment. L'eau y dégoulinait, disponible, indifférente aux rythmes effrénés. Elle chantonnait, elle donnait à la ville des allures de lavoir, elle parlait de la vie qui va, si précieuse, si fragile et qu'il ne faudrait pas gaspiller. On aurait aimé ralentir le temps, montrer à la gérante. Mais la gérante était déjà dans l'arrière-boutique, occupée à toupiller, incapable de s'arrêter.
 

2 commentaires:

  1. J'apprécie ton talent de chroniqueuse des instants du quotidien. Tu sais nous rendre présent aux scènes que tu décris autant sur le factuel que les ressentis des personnages de la scène.
    Un petit bijou en quelque sorte !

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