lundi 24 avril 2023

Voyager : couler tout doucement vers la mer

 
Au Sud-Ouest : l'église de Santa Maria della Spina
 
...comme Benjamin l'avait prédit, nous devenons de plus en plus riches d'épisodes d'expériences, mais de plus en plus pauvres en expériences vécues (Erfahrungen). Il en résulte que le temps semble " se consumer par les deux bouts" : il passe vite et il disparaît de la mémoire. Ceci pourrait être en fait l'explication centrale de notre sens de la vitesse rapide du temps dans la modernité tardive. Comme avec nos actions et avec nos marchandises, ce qui se passe ici est un manque d'appropriation du temps, nous échouons à faire du temps de nos expériences "notre temps"...
 Aliénation et accélération, Hartmut Rosa, La découverte, p.132
 
La ville était en train de m'attendre, je le savais. Et moi, je m'étais mise à penser à elle, de plus en plus souvent, à la douceur de ses palais penchés sur l'Arno dont les flots invitaient à considérer ses reflets et à se prélasser. J'imaginais la place miraculeuse, sa tour et son Camposanto, et les portraits d'Eléonore et d'Artemisia, bien droits, prêts à accueillir leurs admirateurs étrangers. J'avais glissé dans le coffre un tout petit bagage - quel besoin de trop emporter quand il s'agirait plutôt de ramener ? - et un gros sac que je me proposais de laisser sur la piazza dei Cavalieri, alliant le bonheur de m'alléger de trop de livres entassés avec celui de réjouir un étudiant intéressé.
 
Le jour déclinait doucement. Je me demandais comment j'avais pu durant tant d'années quitter certains soirs le travail en m'efforçant de tout boucler, sur les chapeaux de roues, pressée de me préparer, tourmentée à l'idée d'avoir oublié quelque priorité, allant me coucher tard, avec les billets et les réservations imprimés, sans sas mental, sans passage de transition entre un univers et un autre, tendue entre quelque chose que je voulais quitter et une réalité que je voulais rejoindre. Bref : stressée.

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