samedi 3 février 2024

Vivre : still life / 141

 
 
Je me souviens ce matin-là il faisait un froid glacial. Contrairement à mon habitude, j'étais descendue m'asseoir dans la cale du vaporetto. Elle s'était très vite remplie et les vitres embuées donnaient l'impression d'être des poissons enfermés dans un bocal. Ce n'est qu'en descendant à l'arrêt Orto de cette ligne 4.2 que j'ai réalisé : l'arrêt suivant serait celui des Fondamenta Nuove et de l'hôpital. 
Près de moi, une femme lisait le journal. Cette élégante portait avec discrétion environ deux-mille euros de vêtements. Elle avait assorti ses pantalons en velours côtelé avec un bandeau en mohair citrouille et avait glissé des lunettes flashy sur son nez légèrement busqué. Bien vite, les places réservées aux personnes à mobilité réduite s'étaient révélées insuffisantes. Je me suis levée en voyant une vieille dame  tanguer comme un frêle esquif dans le couloir. 
Je suis montée rejoindre R. sur la plate-forme. Au loin dans la brume se dessinait la pittoresque silhouette de Murano, son phare, ses clochers. A l'horizon, les Alpes se profilaient, tellement proches que nos index paraissent les frôler. Ça sentait la tramontane et le fioul, ça sentait l'appel du large, les départs vers d'autres ports et d'autres possibles.
Déjà à ce moment-là les lunettes orange de la femme si bien sapée étaient allées s'inscrire sur la liste de mes désirs et m'avaient refilé une envie irrépressible de lire et de découvrir le monde à travers des hublots colorés.

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