mardi 30 septembre 2025

Vivre : entre loup et chien

 
empyrée / 2023 / eva jospin / palais des papes / avignon
 
 
 tracer là-haut parmi les ombres glacées
dans le ciel opaque, vivante, ardente :
débusquer la seule étoile allumée 
 

 
 
 
 

lundi 29 septembre 2025

Voyager : entre deux nuages, une éclaircie

 

Cabans, vareuses, doudounes, imperméables, cirés:
les vitrines de la ville annonçaient la pluviométrie 
avec nettement plus de fiabilité 
que tous les sites météo consultés.
 

dimanche 28 septembre 2025

Voyager : aller, venir, rentrer

 
Riposo / Impressioni del Sud / Alfredo Camisa

 
Deux jours de suite, j'ai effectué deux voyages très différents. Le premier m'a paru évident, taxi, avion, voiture se sont succédé sur près de 1'000 kilomètres pour rentrer sans encombres à la maison. J'ai quand même pu constater une nouvelle fois combien je déteste des aéroports, leur ambiance aseptisée, leur façon de transformer les voyageurs en consommateurs, leurs moments d'attente et d'accélération alternés. Au bout du compte, je craignais d'être tendue, mais je me suis sentie soulagée. 

Le second voyage, nettement plus bref, un aller-retour de cent kilomètres à tout casser, m'a exténuée : marche à pied jusqu'à la gare en écrasant des écorces de marrons détrempés, train régional puis Intercity, suivis de métro, retards imposés, retards rattrapés, et enfin retour en voiture à travers une nuit pluvieuse et noire, phares qui agressent, feux oppressent, jeux des essuie-glaces. Mission accomplie, mais je me suis retrouvée tendue, alors que dans le fond j'étais soulagée. 

Quelle que soit leur longueur, les déplacements mettent toujours mon corps à l'épreuve, et plus encore que mon corps, c'est ma manière d'être au monde qui est bousculée. Ils dé-rangent ce que je passe mon temps à ranger. J'ai beau savoir que vivre implique de partir - partir et bouger - ils me privent de ma maison et c'est toujours vers ma maison que je veux retourner.
 
Dans les deux cas, j'ai réalisé une nouvelle fois mon besoin d'être chez moi à nuit tombée, moment où le moindre souffle me fait frissonner. Je n'apprécie le noir que bien protégée. Dans une ville étrangère, je me penche souvent sur un SDF somnolent pour lui tendre une pièce. Je veux lui exprimer qu'il ne laisse pas les gens indifférents, qu'il n'est pas seul sous ses cartons. Dans une chambre étrangère, même pour une seule nuit, je dois me constituer un lieu à moi. Je dispose un livre, un objet familier, un vêtement pouvant me rassurer. C'est alors dans ce confort provisoire que je peux trouver le sommeil en même temps que la sérénité. 
 
Quant aux déplacés - les  vrais - mon cœur est lacéré à les savoir sur les routes, soumis à tous les dangers. Les voyages ne cessent de me rappeler combien la vie est fragile et combien sont fragiles toutes nos sécurités.
 
 

samedi 27 septembre 2025

Voyager : lettres d'enfer et d'enfermement

 
 
Tour des Jacobins / Château des ducs de Bretagne / Musée historique / Nantes
 
 
sur les murs du château, il m'a semblé poursuivre, au bord de l'Atlantique, des lectures à peine entreprises au pied des  Alpes...
 

pourtant, ici, si près de l'océan, les murs intraitables dévoilaient l'accablement, l'oppression de tourner en rond inexorablement
 



mardi 23 septembre 2025

Voyager : des pages de mots et de mystères

 
La garde Robe De La tapisserie
 
S'arrêter de temps à autre dans un des châteaux du Val d'Aoste pour se mettre à l'écart du temps. A Issogne, être toujours aussi fascinée par l'infinité de graffitis (comment appeler d'une autre manière ces écrits gravés ou peints sur les murs au cours des siècles par des invités de passage ou des résidents du château, au mépris parfois du plus élémentaire respect pour le travail des artistes ayant décoré les lieux à fresque) ?
 
W Marqantoine et ces gro couillion (lunette consacrée au corps de garde, fresque sous le portique)


 fresque présentant le travail des tailleurs dans la cour d'entrée


 Ladri sono i sarti (les tailleurs sont des voleurs)
 
 
Tous ceulx que maldise d'autruy et rapporte / nentre ceans nous luy deffendons lapporte / car que d'austruy mal dira / le diable l'enpourtera.

 
Une nouvelle sur la réforme protestante : Le 28 doctobre 1535 / la messe a resté de dire / a Geneve
 
dans la salle de la Justice
 
 
Le lieu grouillait de vie, était fréquenté par des visiteurs de haut rang, mais aussi par des pèlerins et des voyageurs, sans compter les artisans et les serviteurs, chacun ayant motif à exprimer une idée, à transmettre un message, une information ou à se moquer. Selon l'endroit où l'inscription se trouve, passage ou chambre, il est possible de deviner l'origine de son auteur. Il y en a tant, de ces inscriptions que leur inventaire n'est pas près de s'achever. De quoi faire une belle recherche de master pour un étudiant inspiré. Parfois la visite guidée imposée, qui dure une heure, paraît bien courte. On voudrait pouvoir parcourir ces espaces en prenant tout son temps, en considérant le castello comme un livre ouvert loin d'avoir encore livré tous ses secrets. Enfin, par-delà les mots, se laisser porter par la poésie des esquisses et des traits.
 
La garde Robe De La tapisserie (détail avec portrait de Georges de Challant?)
 

lundi 22 septembre 2025

Vivre : face aux complications

 

Tout doit se faire aussi simplement que possible mais pas plus simplement que nécessaire.
Albert Einstein 
 

rester immobile : se rendre disponible à d'autres possibles

 

 
 

dimanche 21 septembre 2025

Vivre : Still life / 178

 

 
 
Dans la vallée d'Aoste, en allant commander nos cafés au bar du village, j'ai aperçu sur le comptoir un panier rempli de framboises flamboyantes. Il appartenait à une femme en grande conversation avec un homme du coin, vêtu d'un gilet et portant des bottes en caoutchouc. Quand la serveuse est arrivée, je me suis renseignée. Oui. C'était lui qui vendait ces merveilles, cultivées  juste en face, dans son jardin. Je suis allée lui demander et il m'a promis de m'apporter - à la fin de sa conversation - un même panier jusqu'à notre table sur la terrasse. J'ai attendu. C'était un cultivateur qui aimait prendre son temps, et ça tombait bien : nous n'avions nulle intention de nous hâter. Quand il est arrivé avec sa récolte d'un pas élastique et insouciant, il s'est montré prêt à discuter des minorités suisses et de leur histoire, des identités et des langues qui pouvaient coexister sur un même territoire. Il a parlé de ses formations en horticulture, et de son désolant service militaire en Sardaigne dans le corps alpin, et puis de pollution, et des diverses folies qui déboulent sur le monde en ce moment. Il se tenait droit, aussi droit que son discours direct, sans fioritures. On voyait qu'il aimait échanger, avec curiosité, avec lucidité. Sans se presser.
Quand nous faisons nos tartines, le matin, la confiture de framboises intensément rouge coule doucement le long de nos doigts et de notre gosier.  Nous ralentissons imperceptiblement nos gestes. Nous savourons l'instant. Nous repensons à l'homme tranquille et concentré, rempli de sagacité qui savait gérer à son rythme toute sa journée.
 
*** 
Sur le marché de Torre P., le lendemain, la "dame aux fromages", comme nous l'appelons, était toujours fidèle au poste. Sur son site FB,  ses vaches ont gardé leurs cornes et se pavanent comme des déesses . Ses chèvres sont des stars de toute beauté. La femme vend du fromage dont on peut manger la croûte (même si Bruxelles interdit de le raconter). Elle propose aussi des yogourts et du beurre. Dans son petit magasin, plus haut dans la vallée, elle offre aux randonneurs de la glace à la fleur de lait.
De même qu'aucune de ses bêtes ne ressemble à une autre, aucune de ses "tume" n'a vraiment la même forme ni la même couleur. Rien de calibré. En goûtant la variété au piment, je me suis prise à rêver : l'été prochain, juste pour le plaisir, j'irai déguster un pot de glace sur les sommets.
 
***  
L'homme devait avoir dans les 85 ans. Il était penché derrière son petit étal contenant la production familiale de la semaine. On lui avait confié la mission de tenir le stand et de trier les tomates cerise pour pouvoir les vendre à quatre euros le kilo. Alors il s'acquittait de sa tâche avec une patiente détermination. Il écartait patiemment les minuscules et les tavelées pour ne livrer que les plus belles. On ne s'est pas privés de lui en prendre un grand sachet. Et puis quelques belles courgettes vert clair assorties de leur fleur. Ce bonheur d'acheter directement aux producteurs, c'est un luxe, un privilège, une opportunité et j'ai tendance  à croire que cela contribue largement à ma santé.
 
 

samedi 20 septembre 2025

Vivre : complexités d'equinoxe

 
Portrait de famille de Ferdinand IV (détail) / Angelika Kaufmann / Capodimonte / Naples


 On est en pleine bascule. L'équilibre parfait. Le soleil assure ses douze heures de présence durant la  journée..Les nuits sont merveilleusement étoilées. Les oiseaux l'ont compris qui ménagent leurs effets. Comment  lui expliquer, à lui, que c'est à sept heures 15 qu'il devrait se (et nous) réveiller ?
 

vendredi 19 septembre 2025

Voyager : les lentes avancées

 

C'est fou ce que j'aime traverser les Alpes, monter et redescendre (avec un petit penchant pour le sens Nord-Sud tout de même). J'adore cette jubilation de retrouver la montagne - les montagnes - leur noblesse, leur stabilité, leur inégalable pondération. Dans un monde où tout est vitesse et pression, elles bougent, certes, elles se meuvent, certes, mais sans précipitation. Elles sont en continuelle évolution. Leur voyage dure depuis des millions d'années et n'est pas près de s'achever. Quelle merveille de les contempler!
 

jeudi 18 septembre 2025

Vivre : petits propos vacanciers

 
La plage à Trouville/ Félix Valotton / coll. particulière
 
Je l'apprécie énormément : simple, direct, efficace. Aller le voir n'est jamais un pensum. Hier, sur les douze minutes qu'a duré ma visite, il a passé 90 secondes à m'ausculter, dont 20 à regarder mes bras qu'il a trouvés un peu trop bronzés et à m'en demander la raison (ce qui a donné lieu à discuter natation), il a ensuite passé le reste du temps à me parler de ses vacances idéales (là, on a commencé à échanger avec intérêt sur les meilleurs endroits où aller barboter). Foin des départs intempestifs à l'autre bout de l'Europe ou de la Terre, faire et défaire ses valises pour cumuler les expériences et rentrer surtout stressés, lui, ce qu'il avait préféré cet été, ce sont les journées passées à l'hôtel Beatus à 75 minutes de chez lui. Il m'a raconté les plongeons dans le lac et les piscines à l'eau salée, les mètres carrés de SPA, le hammam et le sauna, les excursions et les cours de yoga, les buffets de petit-déjeuner et les dîners inclus dans le forfait, les collations à base de soupes et de salades le midi, les gâteaux offerts plus tard dans la journée. C'est un bon vivant et, en racontant, ses yeux brillaient. 
Ah j'adore ces contrôles annuels durant lesquels ma santé devient un sujet banal, secondaire et où je peux m'adonner aux joies d'une conversation joyeuse et légère... 

mercredi 17 septembre 2025

Vivre : rassembler ses ovidés

 


Tant de manques d'attention, mille motifs à dispersion.
Incessamment, recommençons : revenons à nos moutons !
 

mardi 16 septembre 2025

Vivre : l'apprentissage de l'eau

 
Naples et le château de l'Oeuf / 1828 / Camille Corot / Musée Langmatt / Baden
 
Hier, journée venteuse. Les nuages couraient. Les cormorans se suivaient en file indienne d'ouest en est. Une régate se déployait en rose et bleu. Nager signifiait affronter des vagues impertinentes. Impossible d'avancer sur le dos. Il fallait carrément plonger dans l'eau, se diriger en direction de la houle et là, en toute sécurité, faire la planche et se laisser dorloter comme un bébé.
J'ai pensé à ces moments de la vie où on ne peut pas décider de la direction à prendre, où l'on ne peut pas décider du style à emprunter, où il faut faire face et s'adapter. Surtout ne pas contrer les éléments. Avancer avec confiance (croire dur comme fer en la force pneumatique des poumons).
Garder confiance car tout au-dessous, des strates d'eau tranquille restaient imperturbables et refusaient de se laisser impressionner. 
 
 
 
 

lundi 15 septembre 2025

Regarder : restaurer, si possible

 

Mercredi, 9h42.
Tu portes le même pull que lundi.
Je te demande de te changer.
"Je n'ai pas assez de pulls pour ce projet,
me réponds-tu. 
 
Une exposition dans un grand magasin, pourquoi pas ? On traverse le Monoprix, les rangées d'épices et de confitures, on accède au premier étage à travers un escalier sombre et on se retrouve devant une image de béance. 
 

"Father" est le récit d'une recherche, la recherche d'un père manquant. Rien de très original, pense-t-on, par les temps qui courent, tant d'artistes, d'écrivains, racontent la même histoire. Tu m'as manqué, d'une façon ou d'une autre, tu aurais dû être là, de quoi es-tu fait, toi l'inconnu dont j'ignore pratiquement tout ? Le travail de la photographe russo-américaine d'origine arménienne Diana Markosian pourrait se résumer au lien entre ces deux photos : plus exactement au cheminement qui mène de l'une à l'autre, puisque la première se trouve à l'entrée tandis que la seconde vient clore la narration.
 
 
La qualité d'une œuvre ne tient pas tant aux thèmes qu'elle traite (ils sont pour la plupart ressassés), elle tient à sa manière particulière de les élaborer. A Moscou, une nuit, alors qu'elle avait sept ans, Diana Markosian a été réveillée par sa mère qui leur demande, à elle et à son frère, de rassembler leurs affaires avant qu'ils aillent tous trois prendre l'avion pour la Californie. Leur père - dont elle s'était séparée - n'était pas au courant de ce départ. Pour que la rupture soit plus "simple", la mère avait découpé ensuite la silhouette du père sur toutes les photographies existantes. Âgée de 35 ans, la mère de l'artiste avait correspondu par le biais d'une agence avec un homme plus âgé qu'elle allait rejoindre et épouser par la suite. Une nouvelle vie pouvait alors commencer en Amérique. 
Le nouveau mari vivait à Santa-Barbara et cette expérience d'intégration à l'Ouest a donné lieu à un travail réalisé en 2020 par la photographe.
 

 
Le lendemain de ce départ impromptu, le père est arrivé dans l'appartement moscovite et n'y a trouvé qu'une lettre, sans possibilité de joindre ses enfants. Il s'est alors démené pendant 15 ans avec l'aide de son propre père pour tenter de les retrouver, a adressé cent courriers, effectué de multiples démarches auprès de divers organismes. Sans succès. Peu à peu son espoir de retrouver ses enfants s'est envolé. Il a quitté Moscou pour rejoindre l'Arménie, dont la famille est originaire. 
 
 

Un jour, quinze ans après la séparation, Diana finit par partir à la recherche de ce père perdu dont elle ne connaît ni le visage ni l'adresse. Elle va enquêter dans la maison familiale de son grand-père et finit par le retrouver. Commence alors un lent travail pour combler le vide et le silence, pour insérer dans la photographie découpée un visage et une identité.
 
 Il m'a dit qu'il me cherchait. Il a ouvert une valise remplie de coupures de journaux. 
des lettres non livrées et une chemise pour le futur mariage de mon frère.
Mon grand-père a mis de côté au cas où il nous rencontrerait à nouveau un jour. 
 

Cette élaboration du rapprochement, sujet de l'exposition "Father", se déroule par le biais de portraits, d'archives, de montages documentaires. Au fil des tirages on voit le père, la fille, la maison familiale, l'Arménie, sans aboutir à un Happy End  ni à des sourires, car l'histoire est toujours en marche, toujours sujette à interrogations : questionnements de la mémoire, hésitations du cœur. A la fin, juste avant la sortie, les visiteurs trouvent une table avec du papier et ils sont invités à écrire une lettre à un être proche qui, pour un motif ou un autre, a disparu de leur vie. On ne sait trop ce que l'artiste va faire de ces participations anonymes. Peut-être en tirera-t-elle le sujet d'une nouvelle recherche.
 
Ce que j'ai aimé dans ce travail, relativement classique dans sa forme, c'est sa sobriété. Sa retenue. Pas de jugements ni d'émotions déclamées ou reproduites. Juste un travail sur la déchirure et la distance entre des êtres qui auraient dû être proches et que les événements ont séparés. Le constat du temps nécessaire pour restaurer ce qui peut l'être. 
 

We never said goodbye to my father. For my mom, the solution to forget him was simple. 
She cut his image out of every photograph in our family album. But those holes made it 
harder for me to forget him. I often wondered what it would have been like to have a father. 
I still do.
 
 
 

 
 Rencontres d'Arles / 2025 / Espace Monoprix
 Father / Diana Markosian / Ed. Xavier Barral / Paris / 2024
 

dimanche 14 septembre 2025

Vivre : en surplomb

 
Incontro alla Porta d'Oro (dett.) / Domenico Beccafumi / Santa Maria della Scala / Siena
 
Elle lui dit qu'elle se fait du souci pour elle. Elle le lui dit régulièrement, en personne expérimentée, le visage légèrement penché, la voix pralinée. Pleine de sollicitude ? Tellement attentionnée ? Qu'a-t-elle donc à se fabriquer du souci pour une autre personne ? Et si elle s'en fabriquait pour sa propre situation ?
 
 

samedi 13 septembre 2025

Vivre : quand l'habit fait la moniale

 


Pour la seconde fois cette saison, je suis entrée dans la même boutique du centre ville. Pour la seconde fois, j'en suis sortie sans rien acheter. La première fois, j'avais été frappée par l'attitude désinvolte de la vendeuse qui m'avait ignorée. La même vendeuse cette fois-ci m'a adressé un large sourire en me priant de prendre tout mon temps pour regarder. Quelle différence entre les deux expériences ? En juillet, j'étais partie en ville précipitamment, un large chemisier sur mon vieux jeans et mes baskets de balade en forêt. Hier, je portais une paire de jeans MAC, une tunique stylée, des tennis blancs et j'affichais une coupe que Marie à Arles avait particulièrement réussie. 
J'étais la même personne. J'avais les mêmes moyens financiers. J'expérimentais seulement la manière dont le monde vous donne le sentiment de votre importance selon vos apparentes possibilités de dépenser. Ça m'a fait sourire, même s'il n'y avait sans doute pas matière à rigoler : il suffit qu'un matin vous vous sentiez vaciller pour une raison ou une autre, et l'univers de la mode vous renvoie à vos manques supposés, vous appelant à consommer consommer consommer.
  

vendredi 12 septembre 2025

Voyager : Welcome / 4

Il ciarlatano / Pietro Longhi / Ca' Rezzonico / Venezia
 
Ils ressemblaient à deux comédiens en train de se livrer à un show dans leur demeure élégante, bigarrée, un peu négligée un peu fatiguée. Ils assumaient une attitude de politesse extrême - "Môssieur, Maaadame" - et tenaient absolument à s'occuper de votre accueil de manière empressée. Impossible de couper à l'heure de mise en route durant laquelle, dans le salon du rez, sous des tableaux poussiéreux et devant une multitude de dépliants, ils se passaient la parole systématiquement comme d'autres se donnent la réplique pour vous indiquer par le menu les meilleurs restaurants et les meilleures expositions à "découvrir ab-so-lu-ment".  
On arrivait d'un voyage exténuant. On aurait voulu partir sillonner la ville et ses ruelles en toute tranquillité. On devait d'abord écouter la maîtresse de maison présenter, avec un sérieux de pédégère et munie d'une carte sur laquelle elle traçait de grandes flèches ascendantes, les avantages et les qualités de telle ou telle cuisine et de tel ou tel chef à l'étoile incertaine. On se serait crus dans un conseil d'administration. Puis venaient les compte-rendus des différentes expositions dont il allait se révéler au cours des journées suivantes qu'ils n'en avaient vues qu'une petite poignée, voire aucune, et qu'ils se contentaient de rapporter des opinions glanées ça et là, déformant les faits, les noms, les informations dont de toute façon le moindre article allait épingler la fausseté. 
L'an dernier, leur numéro nous avait fait sourire. Nous avions trouvé le moyen de nous débiner entre deux recommandations à la faveur d'une arrivée d'hôtes inopinée. Cette année, la persistance des conseils alliée à l'odeur entêtante des cigarettes sans filtre qu'il fumait à longueur de journée, les confitures aux teintes criardes qu'ils présentaient comme "faites maison", les croissants froissés tirés d'un sac de supermarché, sans compter quelques remarques déplacées sur des sujets d'actualité ont eu raison de notre aptitude à voyager le cœur et l'estomac ouvert. 
Au retour, soulagés, un peu écœurés, nous avons vite cherché - et trouvé - un autre welcome à tester.  
 
 

jeudi 11 septembre 2025

Regarder : trois images de Letizia

 
la bambina col pallone / 1980
 
Aux Rencontres, son  nom était sur toutes les bouches : c'était une des meilleures expositions. A voir absolument. Il est vrai que l’œuvre de Letizia Battaglia est immense et sa vie un roman. Cette femme palermitaine, décédée en 2022 à l'âge de 87 ans, a mené une vie dense et mouvementée. Elle est surtout connue pour ses photographies sur la mafia et son règne malfaisant au cours des dernières décennies du siècle dernier. Dans le cadre de sa collaboration au journal L'Ora, un quotidien de gauche basé à Palerme, elle a documenté, souvent au péril de sa vie, bon nombre de scènes de crime. Grâce à un de ses tirages il a été possible à la justice d'attester le lien entre un boss de la mafia et Giulio Andreotti, le tout-puissant leader de la Démocratie-chrétienne qui avait toujours nié ces accointances. 
 
Un documentaire, Letizia Battaglia, photographe des années de sang, réalisé par Cecilia Allegra, est sorti en 2024 et raconte de manière fouillée à la fois sa trajectoire de photographe, mais aussi son expérience de femme politique et de féministe engagée. L'exposition rétrospective d'Arles est un coup de poing qui va au-delà de la violence et de la terreur, car elle témoigne aussi de la vie quotidienne et de la misère sévissant en Sicile durant cette période. Difficile de faire un choix parmi tant de clichés. J'ai retenu trois images.
 
La première, ci-dessus, montre une petite fille avec un ballon de football. Maigre, elle surprend par son regard noir et buté. On imagine qu'à dix ans, elle a pris déjà des tas de coups et qu'elle sait les rendre. En écrivant ce billet, j'ai appris que L.B. avait fait une recherche en 2018 pour savoir ce qu'était devenue cette enfant. Elle avait lancé un appel sur Chi l'ha visto ? (le Perdu de vue de la TV italienne) et a retrouvé la femme qui avait quitté son île et vivait à Lecce. Mais l'adulte ignorait que son visage était devenu entretemps célèbre dans le monde entier. Elle s'efforce de sourire devant les photographes durant ce bref instant de gloire. La magie de la photographie s'est perdue dans ce moment de retrouvailles.
 
Rosaria Schifani / 1992
 
Autre visage de femme rendu célèbre par Letizia Battaglia : le portrait de  Rosaria Costa Schifani, veuve de Nino Schifani, un des trois gardes du corps tués à Capaci en mai 1992 avec le juge Giovanni Falcone et son épouse, dont ils assuraient la protection. Ce portrait en noir et blanc, ombre et lumière, a été pris le jour des funérailles. Rosaria était la mère d'un bébé de quatre mois et semblait sur le point de s'écrouler quand elle a pris la parole dans l'église de San Domenico à Palermo. Elle y parlait de pardon, en s'adressant aux personnes responsables de ces assassinats (elle disait : vous êtes présents, et je suis prête à vous pardonner, mais vous devez vous mettre à genoux, si vous avez le courage de changer. Mais vous ne changerez pas, il n'y a pas assez d'amour, pas assez d'amour).
Aujourd'hui, Rosaria, qui a mené un combat contre la mafia pendant plus de 30 ans, est fière de son fils, serviteur de l’État, comme l'était son père. Il est devenu officier dans la police douanière et financière.
 
Groenland / 1993
 
Enfin, une image, peut-être la plus personnelle, où Letizia Battaglia se montre dans toute sa vulnérabilité, tout en restant hors-champ. Une photographie prise durant un voyage solitaire, "extrême" selon ses propres termes. Celle qui a pris cette photographie est une femme en rupture, dans la soixantaine. Sa longue relation amoureuse et professionnelle avec Franco Zecchin vient de s'achever. Elle se sent fatiguée et a décidé d'arrêter la photographie de presse. Elle marche seule au Nord de l'Europe dans un paysage dépouillé.  Un magnifique autoportrait en paysage.
 

mercredi 10 septembre 2025

Regarder : dedans / dehors

 

des fenêtres on voyait le fleuve
 

 et comme à chaque fois je me demandais si j'étais venue pour regarder à l'intérieur ou au-dehors
 
 
Verre de lumière IV / 1993 / Béatrice Helg
 
dans tous les cas : expirer devant des espaces de silence
  

mardi 9 septembre 2025

Vivre : passages

 
Désalpe / Grand-Saint-Bernard
 
Herr: es ist Zeit. Der Sommer war sehr groß.
    Leg deinen Schatten auf die Sonnenuhren,
    und auf den Fluren laß die Winde los.

    Befiehl den letzten Früchten voll zu sein;
    gieb ihnen noch zwei südlichere Tage,
    dränge sie zur Vollendung hin und jage
    die letzte Süße in den schweren Wein.

    Wer jetzt kein Haus hat, baut sich keines mehr.
    Wer jetzt allein ist, wird es lange bleiben,
    wird wachen, lesen, lange Briefe schreiben
    und wird in den Alleen hin und her
    unruhig wandern, wenn die Blätter treiben. 
 
R.M. Rilke / Das Buch der Bilder / 1902
 
Jours de transition. L'automne est aussi dense que l'été a pu être lourd et extrême. Les journées qui passent apportent des lots magnifiques de fruits et de frissons. Leur lumière intense plonge sur nos vies tandis que les dernières fleurs persistent à se pavaner sur les pentes rougissantes. J'aime ce poème, même si je ne partage pas la mélancolie de Rilke : j'entrevois de belles semaines à venir et l'hiver au loin me paraît rempli de promesses. Der Sommer war sehr gross. Oh! oui, cet été s'est révélé immense et il me tarde de passer à d'autres saisons, jalonnées d'espérance et remplies de confiance.
 
Il y a tant de traductions de ce poème : ICI ou ICI par exemple 

Vivre : deux poids, deux mesures

 

 
parfois, l'immensité du ciel venant tambouriner contre la petitesse du monde
 

lundi 8 septembre 2025

Lire / Vivre : chez soi

 
Vitrine librairie Le Méjan Actes Sud / Arles
 
"Ce qu'est un livre doudou ? C'est simple : un livre, on vient de le lire pour la troisième fois il y a à peine trois mois, on en reçoit un exemplaire en cadeau et on replonge instinctivement dedans avec délices. Encore plus simple : un livre, on vient de le terminer, on n'a qu'une envie : revenir au début et recommencer la lecture. Ou alors encore plus basique : on rentre le soir fourbue de frustrations, on ne sait plus comment on s'appelle, on tremble d'indignation et de découragement, on ne sait pas quoi manger, quoi boire, mais sitôt qu'on ouvre le livre, on se retrouve chez soi et tout reprend sa juste place."
 

dimanche 7 septembre 2025

Regarder : On Country

 
Tony Albert (Kuku Yalanji), David Charles Collins et Kieran Lawson.
Super-héros de Warakurna #1, série Super-héros de Warakurna, 2017.
Avec l’aimable autorisation des artistes / Sullivan+Strumpf.
Country [Pays] est un terme incarné pour les peuples premiers d’Australie qui l’emploient pour décrire les terres, les cours d’eau, les mers et le cosmos auxquels ils sont reliés. Il désigne l’attachement ancestral à un lieu et sa présence culturelle vivante et parle de la relation complexe qui unit la terre à la langue, à la famille et à l’identité. Se trouver « on Country », c’est plus qu’être simplement situé quelque part : c’est être constitué par ce lieu, y être attaché et avoir la responsabilité d’en prendre soin. [texte expo / église Sainte-Anne / Rencontres photographie Arles 2025]


Le dernier jour, j'ai enfin pu retrouver "mes" guerriers. Quelque chose en eux me rappelait à mon enfance. Jouer sur des tas de ferrailles et pouvoir se sentir rois d'un territoire rien qu'à soi. L'émergence d'une force telle qu'il n'était permis de douter de rien. Par-delà les politiques racistes, assimilationnistes, garder la fierté de ce que l'on est et de là d'où l'on vient. 
 

Super-héros Warakurna est une collaboration menée avec des enfants de la communauté isolée de Warakurna dans le Territoire du Nord. Les enfants ont fabriqué leurs propres accessoires et costumes, se transformant en super-héros et posant dans les paysages désertiques, spectaculaires à l'intérieur des terres de leur région natale. [texte expo / église Sainte-Anne / Rencontres photographie Arles 2025]

 
Les autres images exposées dans On Country - une stupéfiante exposition - étaient des coups de poing, parfois poignants, parfois ironiques - qui faisaient sourire, remonter des larmes de rage et de tristesse et imposaient malgré tout un sentiment de soulagement : on y déployait la victoire des peuples premiers sur toutes les opérations d'écrasement subies au cours de deux siècles de colonisation.
 

samedi 6 septembre 2025

Vivre/Voyager : scènes de rue au soleil

 

 
La femme n'avait pas pigé que les paroles posées, lentes portent bien plus que les mots criards, revanchards. 
Si elle avait baissé le ton, on l'aurait mieux entendue.
 
 

En sept mots : la kiné en a plein le dos
 
 

 
Venelles du Sud : les seuls lieux où des immondices s'étalent à côté de conteneurs parfaitement vides. 
 

 Certains préfèrent le rouge...
 

 ... d'autres le bleu...
 


... d'autres encore penchent pour les deux...