jeudi 11 septembre 2025

Regarder : trois images de Letizia

 
la bambina col pallone / 1980
 
Aux Rencontres, son  nom était sur toutes les bouches : c'était une des meilleures expositions. A voir absolument. Il est vrai que l’œuvre de Letizia Battaglia est immense et sa vie un roman. Cette femme palermitaine, décédée en 2022 à l'âge de 87 ans, a mené une vie dense et mouvementée. Elle est surtout connue pour ses photographies sur la mafia et son règne malfaisant au cours des dernières décennies du siècle dernier. Dans le cadre de sa collaboration au journal L'Ora, un quotidien de gauche basé à Palerme, elle a documenté, souvent au péril de sa vie, bon nombre de scènes de crime. Grâce à un de ses tirages il a été possible à la justice d'attester le lien entre un boss de la mafia et Giulio Andreotti, le tout-puissant leader de la Démocratie-chrétienne qui avait toujours nié ces accointances. 
 
Un documentaire, Letizia Battaglia, photographe des années de sang, réalisé par Cecilia Allegra, est sorti en 2024 et raconte de manière fouillée à la fois sa trajectoire de photographe, mais aussi son expérience de femme politique et de féministe engagée. L'exposition rétrospective d'Arles est un coup de poing qui va au-delà de la violence et de la terreur, car elle témoigne aussi de la vie quotidienne et de la misère sévissant en Sicile durant cette période. Difficile de faire un choix parmi tant de clichés. J'ai retenu trois images.
 
La première, ci-dessus, montre une petite fille avec un ballon de football. Maigre, elle surprend par son regard noir et buté. On imagine qu'à dix ans, elle a pris déjà des tas de coups et qu'elle sait les rendre. En écrivant ce billet, j'ai appris que L.B. avait fait une recherche en 2018 pour savoir ce qu'était devenue cette enfant. Elle avait lancé un appel sur Chi l'ha visto ? (le Perdu de vue de la TV italienne) et a retrouvé la femme qui avait quitté son île et vivait à Lecce. Mais l'adulte ignorait que son visage était devenu entretemps célèbre dans le monde entier. Elle s'efforce de sourire devant les photographes durant ce bref instant de gloire. La magie de la photographie s'est perdue dans ce moment de retrouvailles.
 
Rosaria Schifani / 1992
 
Autre visage de femme rendu célèbre par Letizia Battaglia : le portrait de  Rosaria Costa Schifani, veuve de Nino Schifani, un des trois gardes du corps tués à Capaci en mai 1992 avec le juge Giovanni Falcone et son épouse, dont ils assuraient la protection. Ce portrait en noir et blanc, ombre et lumière, a été pris le jour des funérailles. Rosaria était la mère d'un bébé de quatre mois et semblait sur le point de s'écrouler quand elle a pris la parole dans l'église de San Domenico à Palermo. Elle y parlait de pardon, en s'adressant aux personnes responsables de ces assassinats (elle disait : vous êtes présents, et je suis prête à vous pardonner, mais vous devez vous mettre à genoux, si vous avez le courage de changer. Mais vous ne changerez pas, il n'y a pas assez d'amour, pas assez d'amour).
Aujourd'hui, Rosaria, qui a mené un combat contre la mafia pendant plus de 30 ans, est fière de son fils, serviteur de l’État, comme l'était son père. Il est devenu officier dans la police douanière et financière.
 
Groenland / 1993
 
Enfin, une image, peut-être la plus personnelle, où Letizia Battaglia se montre dans toute sa vulnérabilité, tout en restant hors-champ. Une photographie prise durant un voyage solitaire, "extrême" selon ses propres termes. Celle qui a pris cette photographie est une femme en rupture, dans la soixantaine. Sa longue relation amoureuse et professionnelle avec Franco Zecchin vient de s'achever. Elle se sent fatiguée et a décidé d'arrêter la photographie de presse. Elle marche seule au Nord de l'Europe dans un paysage dépouillé.  Un magnifique autoportrait en paysage.
 

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