Mercredi, 9h42.
Tu portes le même pull que lundi.
Je te demande de te changer.
"Je n'ai pas assez de pulls pour ce projet,
me réponds-tu.
Une exposition dans un grand magasin, pourquoi pas ? On traverse le Monoprix, les rangées d'épices et de confitures, on accède au premier étage à travers un escalier sombre et on se retrouve devant une image de béance.
"Father" est le récit d'une recherche, la recherche d'un père
manquant. Rien de très original, pense-t-on, par les temps qui courent,
tant d'artistes, d'écrivains, racontent la même histoire. Tu m'as
manqué, d'une façon ou d'une autre, tu aurais dû être là, de quoi es-tu
fait, toi l'inconnu dont j'ignore pratiquement tout ? Le travail de la photographe russo-américaine d'origine arménienne Diana Markosian pourrait se résumer au lien entre ces deux photos : plus exactement au cheminement qui mène de l'une à l'autre, puisque la première se trouve à l'entrée tandis que la seconde vient clore la narration.
La qualité d'une œuvre ne tient pas tant aux thèmes qu'elle traite (ils sont pour la plupart ressassés), elle tient à sa manière particulière de les élaborer. A Moscou, une nuit, alors qu'elle avait sept ans, Diana Markosian a été réveillée par sa mère qui leur demande, à elle et à son frère, de rassembler leurs affaires avant qu'ils aillent tous trois prendre l'avion pour la Californie. Leur père - dont elle s'était séparée - n'était pas au courant de ce départ. Pour que la rupture soit plus "simple", la mère avait découpé ensuite la silhouette du père sur toutes les photographies existantes. Âgée de 35 ans, la mère de l'artiste avait correspondu par le biais d'une agence avec un homme plus âgé qu'elle allait rejoindre et épouser par la suite. Une nouvelle vie pouvait alors commencer en Amérique.
Le nouveau mari vivait à Santa-Barbara et cette expérience d'intégration à l'Ouest a donné lieu à un travail réalisé en 2020 par la photographe.
Le lendemain de ce départ impromptu, le père est arrivé dans l'appartement moscovite et n'y a trouvé qu'une lettre, sans possibilité de joindre ses enfants. Il s'est alors démené pendant 15 ans avec l'aide de son propre père pour tenter de les retrouver, a adressé cent courriers, effectué de multiples démarches auprès de divers organismes. Sans succès. Peu à peu son espoir de retrouver ses enfants s'est envolé. Il a quitté Moscou pour rejoindre l'Arménie, dont la famille est originaire.
Un jour, quinze ans après la séparation, Diana finit par partir à la recherche de ce père perdu dont elle ne connaît ni le visage ni l'adresse. Elle va le rechercher dans la maison familiale de son grand-père et finit par le retrouver. Commence alors un lent travail pour combler le vide et le silence, pour insérer dans la photographie découpée un visage et une identité.
Il m'a dit qu'il me cherchait. Il a ouvert une valise remplie de coupures de journaux.
des lettres non livrées et une chemise pour le futur mariage de mon frère.
Mon grand-père a mis de côté au cas où il nous rencontrerait à nouveau un jour.
des lettres non livrées et une chemise pour le futur mariage de mon frère.
Mon grand-père a mis de côté au cas où il nous rencontrerait à nouveau un jour.
Cette élaboration du rapprochement, sujet de l'exposition "Father", se déroule par le biais de portraits, d'archives, de montages documentaires. Au fil des tirages on voit le père, la fille, la maison familiale, l'Arménie, sans aboutir à un Happy End ni à des sourires, car l'histoire est toujours en marche, toujours sujette à interrogations : questionnements de la mémoire, hésitations du cœur. A la fin, juste avant la sortie, les visiteurs trouvent une table avec du papier et ils sont invités à écrire une lettre à un être proche qui, pour un motif ou un autre, a disparu de leur vie. On ne sait trop ce que l'artiste va faire de ces participations anonymes. Peut-être en tirera-t-elle le sujet d'une nouvelle recherche.
Ce que j'ai aimé dans ce travail, relativement classique dans sa forme, c'est sa sobriété. Sa retenue. Pas de jugements ni d'émotions déclamées ou reproduites. Juste un travail sur la déchirure et la distance entre des êtres qui auraient dû être proches et que les événements ont séparés. Le constat du temps nécessaire pour restaurer ce qui peut l'être.
We never said goodbye to my father. For my mom, the solution to forget
him was simple.
She cut his image out of every photograph in our family
album. But those holes made it
harder for me to forget him. I often
wondered what it would have been like to have a father.
I still do.
Rencontres d'Arles / 2025 / Espace Monoprix
Father / Diana Markosian / Ed. Xavier Barral / Paris / 2024
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