dimanche 21 septembre 2025

Vivre : Still life / 178

 

 
 
Dans la vallée d'Aoste, en allant commander nos cafés au bar du village, j'ai aperçu sur le comptoir un panier rempli de framboises flamboyantes. Il appartenait à une femme en grande conversation avec un homme du coin, vêtu d'un gilet et portant des bottes en caoutchouc. Quand la serveuse est arrivée, je me suis renseignée. Oui. C'était lui qui vendait ces merveilles, cultivées  juste en face, dans son jardin. Je suis allée lui demander et il m'a promis de m'apporter - à la fin de sa conversation - un même panier jusqu'à notre table sur la terrasse. J'ai attendu. C'était un cultivateur qui aimait prendre son temps, et ça tombait bien : nous n'avions nulle intention de nous hâter. Quand il est arrivé avec sa récolte d'un pas élastique et insouciant, il s'est montré prêt à discuter des minorités suisses et de leur histoire, des identités et des langues qui pouvaient coexister sur un même territoire. Il a parlé de ses formations en horticulture, et de son désolant service militaire en Sardaigne dans le corps alpin, et puis de pollution, et des diverses folies qui déboulent sur le monde en ce moment. Il se tenait droit, aussi droit que son discours direct, sans fioritures. On voyait qu'il aimait échanger, avec curiosité, avec lucidité. Sans se presser.
Quand nous faisons nos tartines, le matin, la confiture de framboises intensément rouge coule doucement le long de nos doigts et de notre gosier.  Nous ralentissons imperceptiblement nos gestes. Nous savourons l'instant. Nous repensons à l'homme tranquille et concentré, rempli de sagacité qui savait gérer à son rythme toute sa journée.
 
*** 
Sur le marché de Torre P., le lendemain, la "dame aux fromages", comme nous l'appelons, était toujours fidèle au poste. Sur son site FB,  ses vaches ont gardé leurs cornes et se pavanent comme des déesses . Ses chèvres sont des stars de toute beauté. La femme vend du fromage dont on peut manger la croûte (même si Bruxelles interdit de le raconter). Elle propose aussi des yogourts et du beurre. Dans son petit magasin, plus haut dans la vallée, elle offre aux randonneurs de la glace à la fleur de lait.
De même qu'aucune de ses bêtes ne ressemble à une autre, aucune de ses "tume" n'a vraiment la même forme ni la même couleur. Rien de calibré. En goûtant la variété au piment, je me suis prise à rêver : l'été prochain, juste pour le plaisir, j'irai déguster un pot de glace sur les sommets.
 
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L'homme devait avoir dans les 85 ans. Il était penché derrière son petit étal contenant la production familiale de la semaine. On lui avait confié la mission de tenir le stand et de trier les tomates cerise pour pouvoir les vendre à quatre euros le kilo. Alors il s'acquittait de sa tâche avec une patiente détermination. Il écartait patiemment les minuscules et les tavelées pour ne livrer que les plus belles. On ne s'est pas privés de lui en prendre un grand sachet. Et puis quelques belles courgettes vert clair assorties de leur fleur. Ce bonheur d'acheter directement aux producteurs, c'est un luxe, un privilège, une opportunité et j'ai tendance  à croire que cela contribue largement à ma santé.
 
 

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