A
Dominique, que je connaissais à peine, j’ai pu le dire, j’avais lu dans ses grands yeux
bleus qu’elle pourrait tout entendre et tout comprendre. Alors j'ai dit.
J’ai
dit les coups d’une mère sans doute trop jeune, trop fragile et trop isolée, et
cela dès la petite enfance. J’ai dit les fois où ses mains après s’être
défoulées sur mon corps, se posaient sur mon cou et appuyaient sur la glotte avec
ces mots : arrête ! arrête de
pleurer ou je t’étrangle. J’ai dit le silence, personne, aucun voisin pour
entendre. J’ai dit que la dernière fois, c’était quand j’avais 14 ans et que tout
cela avait cessé parce que je lui avais rendu le premier coup de poing qu’elle avait
voulu m’asséner.
J’ai
dit que plus tard, adulte, j’aurais voulu pouvoir mettre les choses à plat. Echanger avec cette mère défaillante,
l’entendre me raconter sa détresse pour pouvoir comprendre, mieux
comprendre ses raisons, pardonner, passer à autre chose. Mais à chaque fois, elle prenait son ton de victime, ce ton geignard qui m'horripile, et me
répondait que j’avais inventé, que je faisais tout plein d’histoires, que le
passé était passé. Elle ajoutait toujours qu’en revanche j’avais été une enfant
« très très difficile ».
J’ai
dit combien c’était dur maintenant, d’être présente pour elle, présente pour
une mère qui avait été maltraitante, déséquilibrée, dysqualifiante. La soigner, maintenant, m’occuper d’elle, écouter ses plaintes, ses demandes toujours plus pressantes.
Devoir la materner, elle qui avait été si peu maternante. Devoir la protéger, elle qui avait été si peu protectrice.
Dominique
a dit : tu as vécu une situation injuste et tu ressens encore tout plein de colère au fond de toi.
C’est
vrai. C’est exactement ça : je me suis engagée à m’occuper d’une mère
toujours plus dépendante, toujours plus plaintive. Je fais mon devoir. Je suis
les consignes que je me suis assignée. Mais je ne parviens pas à éprouver la
moindre compassion, ni la moindre bienveillance envers elle. C'est au-dessus de mes possibilités. L’amour
inconditionnel, c’est pour les saints, pour les modèles. Ce n’est pas à ma
portée.
Maintenant
qu’elle s’achemine vers la mort, elle est devenue « une pauvre vieille
malade », elle n’a plus de mémoire, elle ne peut pas être touchée par ce
sujet.
Traverser l’hiver, c’est aussi ça : la cruauté de devoir accepter
le fait qu’il n’y aura pas de réparation possible. Accepter l’impuissance à changer quoi que ce soit. Et
accompagner quand même, sinon par amour, mais par souci d’humanité.
Un texte "coup de poing" que j'ai dû relire à plusieurs reprises. Il m'est difficile de le commenter d'ailleurs. Je vais tenter de le faire, sans doute très maladroitement.
RépondreSupprimerLes violences subies enfant restent inscrites dans le corps et dans l'âme toute la vie. Il est long le temps d'une quelconque réparation et c'est un chemin semé d'embûches, de doutes profonds, de désespoir parfois, d'apaisement aussi. Il n'y aura sans doute pas réparation, telle que tu l'entends, sans doute jamais d'excuses formulées de manière profonde et sincère. Et c'est un deuil terrible à faire. Sans doute beaucoup plus important que le deuil qui interviendra à la toute fin. Mais le travail que tu as accompli sur toi-même, les pansements que tu as mis sur tes blessures, personne ne peut les enlever. Et si tu avances sur ce chemin, plus confiante qu'à 14 ans, c'est une très grande victoire.
Et c'est bien cela que tu te dois de garder au fond de toi.
Merci pour la confiance que tu nous portes en écrivant cela. Cela résonne d'une manière toute particulière chez moi. Bien plus encore.
Bises alpines et douce semaine.
Juste un mot : merci.
RépondreSupprimerOui, un coup de poing, si bien que je suis allée lire au bout du texte, voir si je ne trouverais pas un quelconque nom d'auteur qui me dirait que tu citais un livre...mais non, tu parles de toi, et c'est vrai que ta confiance m'honore et me rend confuse.
RépondreSupprimerQue te dire de mieux que ce que Dédé a déjà si bien dit ?
Rien, sans doute, n'égalera son commentaire. Te dire que je compatis, moi qui suis en pleine découverte de la maladie de ma mère, et qui réalise qu'une mère bipolaire ne peut pas nous aimer comme une mère normale...Maltraitante, non, je ne peux pas dire cela. Mais complètement bouffée par son mental et du coup, pas très disponible pour autrui.
Toi tu es admirable dans la façon dont tu avances, et dans les mots que tu écris ici, pour te transcender malgré les blessures d'enfance.
Et je te serre dans mes bras, comme une soeur.
¸¸.•*¨*• ☆
Ce mot de soeur m'est fort doux, Célestine, car ma mère tend à induire une communication qui porte à la division et à la discorde. Oui, en ce moment, la "sororité" me fait du bien.
Supprimer♥︎
SupprimerBisous dad...
RépondreSupprimerBonjour Dad. Je viens enfin te lire, et je dois te dire que tes mots me touchent beaucoup. Comment en effet pouvoir éprouver de la compassion envers cette femme qui t'a si mal aimée, qui t'a tant maltraitée ? Cela semble impossible. Mais si tu arrives déjà à lui pardonner, tu pourras peut-être être plus sereine, qu'en penses-tu ? Je sais que c'est facile à dire, n'ayant pas vécu cela, je ne suis peut-être pas apte à te dire ce que tu dois faire. En tous, je te remercie pour ce partage. Je t'embrasse très fort, Dad.
RépondreSupprimerLe pardon, la compassion impliquent un long chemin. Je tourne et retourne la question depuis pas mal de temps et je la trouve difficile. Je me dis au final que l’essentiel est de se la poser et de garder une conduite éthique. Un jour peut-être arrivera une solution, une lueur. En attendant, cela me permet de mieux comprendre la difficulté de certains peuples (Cambodge, Balkans) à panser leurs blessures et à reconstruire. Cela me rapproche aussi de personnes ayant souffert d’agressions en tous genres (victimes de viols, par exemple). Au fond, cette souffrance m’a permis d’aider dans mon travail des tas de gens en difficulté. N’est-ce pas déjà une revanche, que de transformer quelque chose de négatif en énergie positive ? Merci pour ton empathie et très belle fin de journée, quelle que soit la météo!D.
RépondreSupprimerOui, Dad, je pense que c'est déjà une revanche que de transformer quelque chose de négatif en énergie positive, c'est une belle revanche. Merci à toi. :-)
RépondreSupprimerBelle fin de journée également.