Monumental Brooke with Beach Ball / Carol A. Feuerman / Biennale 2017
La création
littéraire me passionne. Comment imagine-t-on une histoire ? Comment la
déroule-t-on ? Comment invente-t-on des personnages ?
Tout en
reconnaissant ses qualités d’écrivain, je n’avais pas vraiment apprécié de lire Jean-Philippe Toussaint. J’avais cependant trouvé intéressant l'aspect cinématographique de son écriture. Comme si on ne lisait pas, mais qu’on visualisait des
fragments d’histoire, des fragments de mémoire. J’avais ainsi plongé dans la mer avec
Marie, avec le narrateur :
Nous étions partis nager, des scintillements argentés de soleil se dispersaient devant nous à la surface de l’eau chaque fois que nous écartions les bras. Marie s’éloignait parfois vers le large de son très beau mouvement de crawl, lent, régulier, décomposé, les bras montant vers le ciel et plongeant dans la mer avec comme un léger contre-temps, puis elle revenait vers moi et restait un moment en suspension à ma hauteur, comme en apesanteur dans l’eau. Marie, insaisissable, s’approchait et s’éloignait de moi, elle riait, disparaissait sous l’eau. Nos jambes, parfois, se frôlaient, nous nous effleurions dans la mer, je lui avais caressé l’épaule en détachant tendrement quelques algues qui étaient restées collées à ses cheveux. Rien n’était avoué, rien n’était dit explicitement, mais, plus d’une fois, nos doigts s’étaient touchés, sans prendre garde, nos regards s’étaient croisés et enlacés dans l’eau. // La vérité sur Marie, 2009, éd. de Minuit, p.175-176
L’autre soir,
Laure Adler lui a demandé :
Il y a eu quatre saisons de la
vie de Marie [Faire l’amour / Fuir / La vérité sur Marie / Nue **] Et puis on se
dit : Marie, vous l’avez inventée,
et puis, en feuilletant les pages, parce que ça en fait quand même des pages, on
se dit : Non, Jean-Philippe Toussaint
n’a pas pu inventer Marie, parce que
Marie, elle a un corps, Marie, elle a une odeur, Marie elle a une sensualité,
Marie, elle a une démarche, Marie, elle a une manière de nager dans la mer,
Marie, on voit l’ombre de ses sourcils, on voit la manière dont elle est
maquillée, on voit la manière dont elle fait l’amour avec le jeune homme qui
essaie de l’encercler de son amour, mais qui n’y arrive pas. Vous l’avez
inventée ou pas, Marie ?
Réponse. :
Marie existe
maintenant, et comme tous les personnages romanesques, elle est faite de
matériaux composites. Elle est à la fois une femme réelle en particulier, elle
est à la fois moi-même l’écrivain, elle est à la fois d’autres femmes, elle est
à la fois des éléments inventés, fantasmés, elle est tout cela à la fois, mais
maintenant pour moi, elle devient de plus en plus réelle et lorsque j’invoque
dans tel ou tel livre, serait-ce vraiment
fini avec Marie ?, je me pose réellement la question. J’ai vraiment eu
beaucoup de mal aussi à clore le cycle romanesque en 2013, parce que pour moi
il est fini, et donc c’est fini avec Marie. Et pour moi cette séparation a été un
peu douloureuse.[...]
L'heure bleue / France Inter / 8.12.2017
La tétralogie vient d'être rassemblée et publiée en octobre 2017 aux éditions de Minuit, sous le titre M.M.M.M.
La tétralogie vient d'être rassemblée et publiée en octobre 2017 aux éditions de Minuit, sous le titre M.M.M.M.
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