vendredi 12 mars 2021

Regarder / Vivre : l'attrait du vide

 
La chaise à la fenêtre / Henri Fantin-Latour / 1861/ collection Bemberg / Toulouse
 
Fenêtre sur l'Escaut / Georges Braque / 1906 / collection Bemberg / Toulouse

Intérieur / Pierre Bonnard / 1905 / collection Bemberg / Toulouse
 
Parmi toutes les toiles et les images que j'observe dans les musées ou les galeries, mon attention est souvent attirée par celles où, en apparence, il n'y a rien. Rien de particulier, aucun personnage en train de prendre la pose, aucune anecdote, aucune action en train de se dérouler. Le vide. L'entre-deux. Un couloir que quelqu'un vient peut-être de traverser, mais qui se trouve momentanément désert. Une fenêtre ouverte sur une campagne fleurie, une échappée sur un fleuve, mais sans rien de mirobolant qui soit en train de se déployer. Une femme de trois-quart dos tranquillement assise dans un intérieur banal, semblant attendre on ne sait quoi, et nullement pressée de bouger. 
Ce sont des tableaux habituellement considérés d'importance secondaire, sur lesquels les visiteurs ont tendance à jeter un regard distrait. Cependant, ces représentations exercent immanquablement sur moi une grande fascination, parce qu'elles accordent au silence et au vide tout leur pouvoir d'évocation. Elles ne véhiculent aucune réponse du dehors, aucune séduction, aucune solution et s'adressent directement à la vie intérieure du spectateur.
Là où certains trouveraient peut-être matière à s'ennuyer, je reste subjuguée. Oui, dans un monde sursaturé d'images, de sollicitations, de sons, je leur trouve l'immense avantage de faire appel à tout un monde de possibles.
L'ennui, ce n'est pas le vide apparent. L'ennui, c'est sans doute quand toutes les réponses sont données, toutes les cases comblées, et quand l'imagination s'étiole parce qu'elle ne trouve pas matière à être stimulée.
Le plus fascinant de la vie, ce sont peut-être les intervalles, l'ensemble de ces moments où quelque chose est sur le point de se passer, mais ne se passe pas encore, et où il vaut la peine d'attendre et de laisser libre cours à ce qui doit se faire. L'espace-temps - l'espace tout court - entre un événement et un autre, entre un inspir et un expir, et où la vie, en apparence immobile, ne cesse de palpiter.



6 commentaires:

  1. J'aime beaucoup ton billet !
    Je n'en dis pas tellement plus ici.
    .Il m'a inspiré un billet chez moi…

    Décidément ça va devenir une habitude !
    :-)

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    1. Oh! J'ai beaucoup apprécié ton billet ! J'ai une réelle passion pour les maisons et pour leur lien avec les gens qui les habitent. "Dis-moi où tu habites et je te dirai qui tu es", c'est une affirmation à laquelle je crois profondément. Parler "maison", évoquer son "chez soi" est un moyen de parler de soi en mode métaphorique et profond. C'est aussi un moyen de mieux se connaître. Je crois du reste que les lieux où nous habitons portent à la fois les marques de notre histoire, de nos identités et de nos souffrances passées. Et, si quelqu'un affirme qu'il se sent mal chez lui, eh bien, cette personne est bien à plaindre, vraiment.
      Cela dit, le vide et la solitude n'existent pas quand on vit dans un univers riche et imaginatif. La pauvreté, c'est avoir besoin que les stimulations viennent du dehors, c'est n'avoir pas confiance dans nos ressources, c'est se laisser définir par l'extérieur.
      Toute belle soirée à toi (ici : un coucher intensément lumineux qui fait du paysage une pièce d'orfèvrerie)

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  2. Les enseignantes de mon petit fils ont mis en place un rituel de début d’après-midi: les "temps calmes". Cela n’est pas anodin à une époque où les enfants sont sur-sollicités.
    Le silence et l’ennui sont des moments transitoires, de flottement. Des "entre-deux" qui permettent à notre cerveau de ralentir, de digérer et de métaboliser les moments passés, regarder ce qui se passe pour aiguiser notre curiosité et notre créativité.
    Se retrouver, faire le point, être dans l’Etre et non dans le faire. Se reconnecter à soi et par suite aux Autres.
    Aujourd'hui, un vent tempétueux se fait bien bruyant.

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    1. Votre petit-fils a de la chance : Ces enseignantes sont bien inspirées. Elles laissent de l'espace au silence et au calme, elles apprennent à ne pas craindre l'ennui. A force d'activités centrifuges, les enfants risquent de perdre leur axe de gravité. Et pour nous, adultes, c'est pareil : nous avons besoin de recentrage pour définir nos priorités et aller vers les autres en ayant qqch à leur apporter.
      Du vent ? Tempétueux ? Zut alors (je crois que nous héritons ici de votre météo à 24 heures d'intervalle). Notre journée fut douce, ensoleillée, et le coucher de soleil de ce soir, un véritable cadeau du ciel!
      PS : comme vous pouvez le voir, je me suis permis de supprimer les deux comm' que vous savez.

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  3. Savoir regarder au-delà de ce vide apparent et imaginer, il y a tellement à imaginer... (sourire)
    Douce nuit à toi, chère Dad.

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    1. tu as mille fois raison, Françoise, le vide n'est qu'apparent et il y a un monde à conquérir en imagination! Beau samedi!

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