vendredi 9 août 2024

Vivre : fin de partie

 
Exceptionnellement : tiré de GettyImages
 
Ce jour-là elle avait  besoin d'évoquer celui qui lui manquait toujours, trois ans après. Elle ne voulait pas entendre ceux qui lui disaient que trois ans, c'est bien assez, que la vie doit continuer. Elle la continuait, sa vie, mais à sa manière, pas forcément seule, ni solitaire. Quand, dans les méandres de la conversation, j'en suis venue à parler de Vicky Payeur, et de son concept de "voisin gonflable", elle a sursauté. Ça lui a rappelé une histoire avec son mec, cet homme qu'elle avait connu à 18 ans, le père de ses enfants, dont elle pleurait encore l'absence.
 
Il avait été un fan de mécanique depuis son adolescence. Déjà apprenti, il faisait des heures supplémentaires à l'atelier pour pouvoir se payer un kart avec lequel concourir. Il adorait les belles carrosseries. Quand la maladie ne lui a plus laissé d'espoir, elle l'avait invité à faire trois vœux, tout ce qui lui ferait le plus plaisir. Son premier souhait avait été de se payer un bolide rutilant, celui dont il avait rêvé toute sa vie. Elle lui a dit OK (de toutes façons, elle avait prévu de le revendre, c'était un rêve à leur portée). Ils avaient trouvé à l'autre bout du pays une occase grande classe, ils étaient partis la chercher en jubilant. Et il avait pu faire quelques tours à son volant, avant de s'en aller vers son voyage sans retour.

Mais voilà : ils avaient (et elle a toujours) un voisin très soucieux de se comparer. Depuis la taille des haies jusqu'à la hauteur des tondeuses en passant par le nombre de pommes dans les pommiers, rien ne doit lui échapper. Quand il avait vu devant leur porte, la belle Lamborghini, il s'était rué sur internet pour vérifier le prix de l'engin (c'est son fils ado, halluciné par l'obsession de son père, qui était venu en catimini lui raconter). Puis, à force de chercher, le voisin avait fini par en dénicher une d'occase, lui aussi, et se l'était payée, naturellement. Il ne devait pas se laisser dépasser. Il l'avait parquée fièrement devant sa maison.
 
Finalement, quand le mec d'à-côté est mort, parti avec son cancer, en ayant réalisé son souhait le plus cher, le voisin s'est retrouvé avec une bagnole qui lui coûtait une fortune en assurances, qu'il utilisait surtout pour aller chercher le pain et accompagner son fils au volley. Alors, il l'a revendue à son tour. Maintenant, une banale SUV noire d'un modèle comme il y en a tant, mais juste un peu plus haut plus grand, est stationnée devant chez lui. Le désir sans compétition, apparemment, ça n'était pas satisfaisant. Le rallye s'arrêta faute de concurrents.
 
J'en suis encore à me demander si cette histoire prête à rire ou à pleurer. Les deux probablement.
 

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