Madonna degli Alberretti / Giovanni Bellini / Gallerie Accademia / Venezia
Les croisières. Non. Les sacs bling-bling. Non. Les grosses voitures rutilantes. Non. Les propriétés qui sont affichées dans les vitrines "real estate". Non. Les cliniques de chirurgie plastique, les soins, les blanchissements. Non. Les maisons secondaires portant bien leur nom. Non. Le luxe m'apparaît souvent en d'autres occasions : certaines élégances morales; des manières de se taire; des savoirs ancrés dans les traditions; le temps à profusion.
J'ai appelé le restaurant où nous étions passés l'année dernière. Je me souviens de ce repas comme si c'était hier. Les choses avaient mal commencé : à 13 heures 30 et malgré le mail de confirmation on m'avait dit : non. Plus de place. C'est dans une heure ou rien. On a fait le tour du quartier en observant les bâtiments, les jeux des nuages et les artisans. On est revenus au bout de 60 minutes en étant sûrs que les serveurs pressés d'arriver à une pause bien méritée nous serviraient vite fait. Mais... non. Pas du tout. Ce type de comportement ne correspondait pas aux règles de la maison. Le personnel - une équipe jeune et décontractée - nous a présenté un repas inventif de première qualité. On prenait le temps, on répondait à nos questions. On nous laissait savourer. J'adorais cette façon de se comporter en mode décalé. Peu à peu, très lentement, la salle se vidait. A passé seize heures, quand nous sommes partis, il y avait encore des clients en train de déjeuner.
Un des luxes suprêmes, c'est peut-être ça : se donner tout le temps nécessaire, se foutre des cadences et des conventions, rejeter ce qui peut générer des pressions. Survoler les contrariétés, se permettre d'expirer, regarder à travers la vitre les passants déambuler, prélever tranquillement un bout de pain pour saucer un plat conçu avec lenteur et créativité.