dimanche 23 février 2025

Habiter : céder la place

 

 
Depuis que des citadins nantis ont trouvé cette région à leur goût, les prix de l'immobilier ne cessent de grimper. Il ne se passe pas une semaine sans un courrier d'agents plus ou moins inspirés, affichant des costards de circonstance sur papier glacé pour inviter à vendre par leur intermédiaire. Certains se frottent les  mains. D'autres, plus prudents, pensent à l'effort auquel devront consentir leurs enfants et petits-enfants s'ils veulent rester dans la région. 
Elle observe le phénomène de loin et parle du petit chalet, acheté juste avant la pandémie, avec son mari qui luttait déjà contre sa maladie. Il voulait croire en sa chance et se dessiner un bel avenir. Ils avaient eu un coup de cœur pour la vue époustouflante au soleil couchant, pour le poêle à l'ancienne et la terrasse que le crépuscule inondait de lumière ambrée. Alors ils s'étaient mis sur les rangs, son compagnon avait écrit une lettre dans laquelle il disait combien le lieu les charmait. Mais ils avaient eu affaire à forte partie. Des Allemands fortunés étaient arrivés et, surs de leur dossier, avaient dégainé un chiffre insensé. L'épouse s'était mise à inspecter les pièces comme si elle se trouvait déjà en territoire conquis. Elle arpentait les lieux en notant dans sa tablette tout ce qui devrait être refait (la liste était longue : cuisine, vaste salon, sauna, home cinéma). 
Il arrive parfois des miracles. Le vendeur s'était senti offensé par la Teutonne qui entendait tout modifier. Il vendait un bien qu'il avait mis des années à restaurer. Il devait vendre, mais il y restait attaché. Les vœux germaniques n'ont pas été exaucés. Maintenant, c'est là-haut qu'elle part tous les vendredis soirs. Elle aime y arpenter les sentiers accompagnée de son chien. Quand tombe le soir, elle pense à celui qui reste plus que jamais présent. Je crois qu'elle a besoin de partir là-bas parce c'est là, face à la chaîne alpine, qu'elle le retrouve vraiment.
 
 

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