dimanche 27 avril 2025

Lire : un livre pour deux autres

 

 
Cette fois-ci je m'étais préparée inhabituellement à la lecture du dernier livre de Deborah Levy : je m'étais procuré le livre en anglais ainsi que la version française qui vient de sortir en avril. Je me proposais d'avancer ainsi en bicanal chapitre par chapitre, en dégustant cette histoire dont le résumé m'était apparu comme très prometteur : une femme en rupture, une pianiste virtuose part (ou plutôt : s'enfuit) après un concert raté, se dirige aux quatre coins de l'Europe pour surmonter son humiliation et tenter de reconstituer le puzzle de son identité.
De quoi en écrire des montagnes, sur des pentes dévalées, des sentiers escarpés et des précipices, et sur de pénibles, voire de jubilatoires remontées. Ce faisant, inviter peut-être les lecteurs/trices à solliciter leur propre mémoire de ces grands huit dans lesquels vous entraîne parfois la vie. Qui n'a pas touché le fond au moins une fois, qui n'a pas eu le bleu à l'âme et le rouge au front avant de devoir affronter de fondamentales remises en question ?
Hélas, l'écrivaine n'a rendu avec Bleu d'août qu'un décevant reflet de ses précédents récits, dont sa remarquable trilogie autobiographique. J'ai failli abandonner la lecture avant la centième page, mais j'ai tenu bon, en me disant que le meilleur resterait pour la fin, et ce fut effectivement le cas, mais...
Je retiens une nouvelle fois la leçon : ne jamais devenir fan absolue d'un artiste ou d'un écrivain. Jamais. Remettre à chaque fois l'admiration en jeu et réévaluer à chaque fois ce que l'auteur fait de son talent.
Deborah Levy déploie brillamment son style original, imagé, allégorique, coloré, son écriture constituée de métaphores, de détails impromptus, d'incidents percutants. Elle déroule son histoire avec brio, mais cette histoire tient mal la route, même si sa copie contient tous les ingrédients en vogue aptes à lui assurer du succès : un élève non-binaire qui place l'excellente traductrice au défi de poser correctement les "iel" et les "un.e"; un couple d'homosexuels masculins lorgnant sur des appâts féminins; une amie lesbienne dont la compagne couche avec trois autres femmes en parallèle; des locations saisonnières dont le code d'entrée va forcément être oublié à nuit tombée; la période post-confinement, avec ses masques et ses confusions.
La protagoniste se déplace en divers lieux pour donner deux ou trois leçons de piano à des adolescents mal entourés et peu motivés. A Paris, elle s'installe à la terrasse du Flore pour ses rendez-vous, elle se balade sur les quais de la Seine, elle mange des huîtres dans une brasserie de la Bastille. Entre lieux communs et images éculées, Déborah Lévy paraît se sentir dans l'obligation de jouer à la septuagénaire dans le coup. Distraite par ses captations de l'air du temps, elle en oublie de donner corps à la trajectoire de son héroïne.
D'expérience en expérience, on comprend mal l'évolution de notre soliste aux cheveux bleus (bleus comme les masques, comme les douleurs à l'âme, comme la Méditerranée), on saisit mal l'évolution de sa quête, ponctuée de rencontres avec une femme aperçue à Athènes, une sorte de double qu'elle ne cesse de croiser ensuite où qu'elle aille. Ce n'est qu'à la fin, au cours des derniers brefs chapitres qu'elle récupère le fil de son histoire, et nous celui du roman. 
"Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d'où tu viens" dit le proverbe africain. Abandonnée à la naissance, puis enlevée à ses parents nourriciers, adoptée par un maestro dédié à en faire une musicienne hors-pair, c'est auprès de ce dernier, en train d'agoniser en Sardaigne, qu'elle va pouvoir trouver le sens de sa trajectoire.
Je commençai par les sons de cloches du Concerto pour piano n°2 de Rach, puis passai à d'autres pensées et préoccupations musicales. Alors que les chats sauvages sifflaient et qu'une ambulance traversait la ville en trombe, j'annulai mes idées sur celle que je croyais être et laissai venir toutes les autres. C'était une espèce de commémoration, adressée non seulement à mon père-professeur, mais aussi à la virtuose qu'il avait créée.[p.188]

Ça me revint. Cette douleur en regardant les chevaux transporter le piano à travers le pré. D'une certaine façon, je savais que c'était le sien. Comment était-ce possible ? Comment savons-nous ce que nous savons. [p.205]

En passant de l'autobiographie à la fiction, l'écrivaine ne m'a pas vraiment convaincue. Mais, s'il est vrai que je n'ai pas trop apprécié ce roman, il a néanmoins une indéniable qualité : il m'a donné l'envie de relire "Le coût de la vie" et "État des lieux", deux livres qui dorment dans ma chambre et, ni une ni deux, je les ai emportés dans mes bagages pour m'en délecter.

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