On Falling, c'est l'histoire d'Aurora, une femme portugaise, qui comme des centaines de milliers d'immigrés a quitté son pays pour travailler au Royaume-Uni. Elle est employée dans un centre d'expédition de l'e-commerce qui a tout d'une structure Amazon. Sa vie semble se partager entre son scanner de codes-barres émettant interminablement des bips à mesure qu'elle rempli des boîtes jaunes d'objets d'une banalité à pleurer et son smartphone dans lequel elle plonge dès qu'elle dispose d'un moment de libre. Aurora vit repliée sur son téléphone en prenant ses pauses, en mangeant, en marchant. Elle lève de temps en temps ses yeux tristes et timides pour saluer des collègues et des colocataires qu'elle connaît à peine, puisqu'ils n'ont jamais les mêmes horaires et, si elle rencontre des gens, c'est toujours en passant, au travers d'échanges fugaces, elle n'est pas amenée à les revoir ni à les connaître. Sous le ciel pluvieux d'Edimbourg, la jeune femme dont on n'apprend finalement pas grand chose, apparaît comme le symbole de la solitude contemporaine.
Aurora doit faire attention à son argent. Elle mange vite, peu et mal. Aurora ouvre son petit porte-monnaie avec précaution. Aurora avance de l'argent à une compatriote avec qui elle fait du covoiturage. Et puis un soir, elle laisse tomber son smartphone sur le sol de sa cuisine. L'écran refuse de s'allumer. La réparation va lui coûter 99 livres : tous ses avoirs. Dès lors le quotidien pauvre et répétitif d'Aurora va basculer.
Le premier long-métrage réalisé par Laura Carreira, jeune Portugaise vivant en Ecosse depuis une dizaine d'années et financé par la société de Ken Loach Sixteen Films, démontre avec une redoutable concision les effets du consumérisme on line. Porté par une actrice portugaise au jeu sobre (Joana Santos, parfaite quand elle exprime l'angoisse et le chancellement intérieur) il dénonce les coûts cachés de ce qui peut paraître très pratique et avantageux. Le film est glaçant de réalisme dans sa description de ces emplois invisibilisés, soustraits au regard de la société. A mesure qu'on progresse, on est amené à avoir peur pour le sort de l'héroïne, qui tremble et paraît constamment avancer sur le fil. Tout est juste. L'absence d'attention, l'isolement. On ne sait rien des motivations de tous les travailleurs en présence. On ne sait pas grand chose de ce qu'ils cherchent en tapotant sur leur écran.
Un jour, à la cafétéria, le suicide de l'un d'entre eux est évoqué. Personne ne semble vraiment le connaître. Son prénom n'évoque rien, mais son acte pèse sur le groupe. Il pèse sur la fourchette qu'Aurora ne parvient pas à porter à sa bouche. Un autre jour, une visite guidée passe entre les allées. Un enfant jette au pieds d'Aurora un bonbon comme il jetterait une pomme lors d'une visite de zoo. Et puis il y a la soirée festive, organisée par la hiérarchie, l'invitation à se réjouir des résultats atteints et à faire des dons en faveur d'un association de protection des aires marines, car l'entreprise se prétend en phase avec l'écologie. Dans cet univers quasi carcéral, Aurora veut fuir. Elle se cherche un autre travail, dans le soin aux personnes. Mais elle va trop mal pour saisir cette opportunité. L'entretien d'embauche est un des passages les plus pathétiques du film.
Il y a dans On falling quelque chose qui rappelle Le voleur de bicyclette, ou Les temps modernes (aucun humour naturellement, mais la même absurdité). Il tient aussi de certains polars car les spectateurs sentent peu à peu monter en eux une angoisse pareille à celle de l'héroïne, toujours filmée au plus près, au plus sombre. Ira-t-on vers une chute annoncée ? Aurora pourra-t-elle s'en sortir ? On avance vers la fin du film en redoutant la manière dont il va s'achever. On halète... mais... pas question de spoiler.
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