C’est assez simple (même si comme toute chose simple elle
peut avoir été vécue avec quelques allers-retours) : nous
venons de vivre cinq années exigeantes niveau boulot, nous constatons
que la bureaucratie galopante et les restructurations à répétition ont envahi nos
territoires professionnels respectifs, notre fils a un contrat en poche qui lui
garantit son indépendance financière, nous avons vu quelques personnes proches
atteintes de maladies graves, nous avons aussi connu quelques alertes santé certes
pas préoccupantes mais bien réelles, notre plaisir à être ensemble ne s’est pas
étiolé en trente-cinq ans, nous aimons les voyages et les îles, toutes les
formes d’art et de création.
Par conséquent, quand, renseignements pris, nous avons
constaté que nous disposerions de quoi vivre sans problème, nous nous sommes décidés pour une sortie anticipée:
Pourquoi ne pas
prendre le temps de jouir, de découvrir, de voyager, d’être au monde sans avoir à nous
soucier de gagner notre argent ?
Nous entrons donc dans notre VSM, notre Vie Sur Mesure, et mettons
en place cube par cube nos projets, heureux de préserver cette santé devenue si précieuse au fil du temps, soucieux de notre environnement,
émerveillés par la redécouverte de nos vingt ans poétiques et alternatifs,
relativement modestes dans nos besoins et curieux dans nos envies.
Et voilà que les remarques commencent à pleuvoir autour de
nous :
Quoi, déjà la retraite ?
Qu’est-ce que tu vas
bien pouvoir faire ?
Tu ne vas pas t’ennuyer ?
Tu ne vas pas t’ennuyer ?
Vous aurez assez pour
vivre ?
Mes parents ont fait
ça et ils souffrent de se sentir inutiles.
Je regarde ébahie ces gens, qui, somme toute, ne font que parler d’eux et de projeter leurs craintes.
Tout à l’heure, au courrier, cette formule polie au bas d’une
proposition d’assurance accident (à laquelle nous devrons nous affilier en tant
que non actifs) :
Nous vous souhaitons
une longue, paisible et belle retraite.
Ah ! Bon ? La retraite est censée être paisible ? Et
pourquoi pas ne serait-elle pas une jubilacion
espagnole et vivace ?
Je médite : les moules, les stéréotypes, les
étiquettes, les idées reçues, les ornières en tous genre. Nous en émettons
tous. Nous en faisons tous les frais. Mais, quelle perte d’énergies, quel
rétrécissement de nos existences ! Ces dernières
années, insensiblement, je recevais au boulot des images de moi surprenantes :
pas assez positive (je refusais d’obtempérer devant n’importe quelle réorganisation sans poser de question ni émettre d’analyse), pas assez réactive (je prenais quelques secondes de plus sur ma tablette, en revanche je ne passais pas de temps à récupérer des erreurs que je n’avais pas commises), pas assez participative (mais je me heurtais systématiquement à un refus quand je demandais à
bénéficier d’une formation continue dont
on me signifiait que je n’avais plus besoin). Lentement, subtilement, des signaux d'exclusion clignotaient autour de moi.
Oui, je médite sur le fait qu'insensiblement, et dès le tournant de
la cinquantaine, on vous met dans des cases, c’est certain, et sans doute que le
plus révolutionnaire, le plus déroutant, c’est de ne pas s’y laisser enfermer.
Oui le plus extraordinaire, le plus simple, le plus merveilleux, c’est de
renouer avec la fille de 20 ans que l’on a été et qui sommeillait patiemment au fond de soi. Cette fille qui revient me visiter dans mes rêves et qui me susurre à l'oreille : cours, pars, découvre.
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