dimanche 12 juin 2016

Vivre : comment te dire adieu





J’ai empilé un à un tous les vêtements trop portés.
Tous ceux que j’enfilais dans la grisaille des matins pâles et bougons.
Tous ceux qui m’auraient rappelé les occasions ratées, les pauses esquivées, les ragots à pleurer.
Tous ceux que j’avais usés sur les chaises de colloques aux thèmes rabâchés.
Et le sac.
Et les lunettes.
Et les classeurs éventrés.
J’ai rempli deux sacs noirs, noirs comme les jours passés à compter les heures.
Je suis allée les déposer devant le magasin qui donne des coups de pouce.
Et je suis repartie sans me retourner.


(quelque part dans le calepin chéri de ma mémoire restent les routes de campagne, effleurant les chevaux en liberté, restent les sourires bienveillants, les sillons aimés des champs et des vieilles gens)


Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le coeur
Il dit oui à ce qu'il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur


J. Prévert, Le cancre



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