Paul Auster est en France actuellement pour la promotion de son dernier roman. L’autre soir, après avoir évoqué L’Invention de la solitude, son premier livre en prose, celui dans lequel il effectue un chemin de mémoire, retrace la vie de
son père, ses silences, ses replis, ses drames familiaux, Laure Adler lui demande :
Aujourd’hui, Paul Auster, vous êtes plus âgé que l’âge auquel votre père est
mort et a été enterré, je me demande si vous auriez pu écrire ce roman très
étrange, très captivant, très étourdissant si votre père était encore vivant ?
PA : Ah... je crois que mon père aurait … 105 ans maintenant, donc c’est peu probable. Non, je crois que cela ne m’empêcherait pas.Mon père est mort quand j’avais trente ans. Alors il n’a pas lu un seul mot de prose que j’ai écrit. Seulement des poèmes que j’écrivais dans la vingtaine. J’ai commencé à écrire des livres de prose après. […] Alors il n’a pas vu mes romans, mes autres livres.
La chose étrange, c’est que j’ai commencé à écrire 4,3,2,1 à l’âge de 66 ans. C’est exactement son âge quand il est mort et, c’était étrange, de passer à travers ce rideau invisible et d’être plus âgé que ton père était dans son vivant. Et j’étais un peu hanté par ça au début, durant les premiers mois, comme si je n’avais pas le droit de vivre plus longtemps que lui. C’est tout à fait une sorte de mysticisme bizarre qui n’a rien de rationnel là-dedans. Alors j’ai commencé ce livre... et j’avais peur. Je pensais que le livre allait me prendre 6 ou 7 ans d’écriture, parce que vous savez, c’est très long.[note: le livre fait 1016 pages] Et, hanté par cette idée de la mort, la chose que je ne voulais pas, c’était que je meure avant de terminer le livre. Alors j’ai beaucoup travaillé, j’ai travaillé de manière un peu féroce. Je suis toujours féroce, mais là j’étais plus féroce que d’habitude. Et le livre a été terminé en trois ans. Avec peut-être quatre, cinq, six mois de révision de petites choses après, mais essentiellement, le livre était fini au bout de trois ans. Une sorte de record. Et je suis heureux que j’ai vécu... de voir la fin du livre.
L'invention de la solitude, éd. Poche, 1994
L'heure bleue / 02.02.2018 / France inter
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