mardi 19 avril 2022

Voir : 偶然と想像

 
 
 
Il y a ces soirs où nous rentrons à la maison et le trajet que nous faisons, jamais tout à fait le même, toujours intense, rarement indifférent, nous absorbe infiniment. Il est souvent vingt heures passées, les lumières scintillent autour de nous comme des grappes de lampions, les maisons, les réverbères, et les phares à l'unisson. Parfois, la lune les accompagne qui s'imprime dans l'heure bleue. Le lac, strié de beige ou de mauve, se tient sur notre gauche tout le long de la route et moutonne un peu. 
Il arrive qu'absorbés, envoûtés, nous n'ayons aucun mot à prononcer pendant de longues minutes. Parfois, pensifs, nous évoquons les destins auxquels nous venons d'assister. D'autres fois, critiques, nous n'hésitons pas à disséquer les scènes qui nous ont marqués. Enchantés, nous sourions aux anges ou alors touchés plus que de raison nous tentons tant bien que mal de retenir le flot débordant de nos émotions. Le monde nous paraît alors irréel. Nous oscillons entre rêve et réalité. Nous sommes déséquilibrés, pris encore par les scènes et les personnages que nous venons de quitter, nous peinons à retrouver notre vie et à reprendre pied. 
 
Les dérèglements dus à la crise sanitaire ont provoqué la sortie à une distance d'à peine quelques mois des deux derniers films de Ryūsuke Hamaguchi. Drive my car, dont j'avais parlé ICI, est sorti l'automne dernier, tandis que Contes du hasard et autres fantaisies, bien que tourné un an plus tôt, n'est programmé qu'à présent dans nos salles. Je suis allée le voir un peu à reculons, car je craignais la déception. Pouvait-il être à la hauteur du multiprimé Drive my car , qui m'avait emballée comme rarement ?

Cette œuvre est constituée de trois narrations sans lien entre elles, si ce n'est que le hasard et ses effets renversants tiennent dans chacune des parties un rôle prépondérant.
Ces contes présentés avec grâce et raffinement ne sont pas sans rappeler le cinéma de Rohmer. On y voit cinq jeunes femmes qui échangent entre elles à propos de sentiments ou qui espèrent séduire en se cachant et en se dévoilant, parlant de choses intimes et de leurs secrets tourments. Oui, il y a une relation certaine avec le cinéma de Rohmer, et Hamaguchi l'admet volontiers, mais la manière de traiter les sujets est infiniment personnelle et renouvelée.
 
En quittant la salle, des questions essentielles nous assaillent : "au cours d'une existence, par quelles émotions a-t-il valu la peine d'être traversé ? combien de fois a-t-on vraiment aimé ? quel part décisive le hasard a-t-il jouée ? et quelle part la nécessité ?"
Le premier volet évoque le fait d'oser aimer, d'oser se lancer après qu'on a été trompé. A qui faire confiance et comment risquer quand on a été confronté à l'inconstance des sentiments ?
Le second conte est d'une cruauté infinie, puisqu'une jeune femme qui n'avait aucune confiance en elle s'écrase et emporte dans sa chute l'homme, le seul homme intègre qui lui avait un instant permis de croire en elle et de déployer ses ailes.
Le troisième récit a la délicatesse d'une dentelle, la beauté du cristal, la finesse exquise des recommencements. Un malentendu à propos de retrouvailles qui n'en sont pas permet à deux femmes de se dire et de se trouver. Naissance d'un amour ou d'une amitié, peu importe. Ce qui est certain c'est qu'après ce film, on ne s'engagera plus dans des escalators croisés de la même manière.

Tout cela est présenté avec une telle subtilité que chacun et chacune peut y trouver matière à décrypter, à interpréter, voire à inventer. S'approprier les histoires et leur dénouement, en tirer morales et leçons : peut-on demander plus au cinéma que la liberté stimulante de reconstruire un film à sa façon ?

 
 

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