vendredi 8 avril 2022

Vivre : Still life / 111

 

Parmi les objets indispensables du quotidien, elles occupent la pôle position. Lors de leur achat, je pensais ne les utiliser qu'en hiver, les destinant à affronter la neige et la pluie. Mais elles se révèlent utiles quasiment tous les jours de l'année, pour avancer dans les marais, la boue et les bouses, les flaques et la rosée, pour éviter certaines griffures et quelques désagréables morsures. 
Elles assument aussi un rôle plus délicat, comme ce matin au point du jour, quand j'ai découvert au milieu de la chaussée le jeune blaireau qui hier encore jouait sur le plateau. Il était adorable dans la lumière du levant, ce petit animal, dodu et farceur, qui se moquait des aboiements du chien (lequel, courageux, mais pas vraiment téméraire, se tenait à bonne distance). Il folâtrait, joyeux et insouciant au milieu d'un champ. Un peu plus tard, nous l'avons découvert qui enfonçait son museau dans les feuilles mortes de la forêt, et, comme un bambin, ne pouvant voir, il se croyait à l'abri des regards. On distinguait sur le sol roux la longue bande de poils immaculés de son museau arqué. J'ai pensé : "On est dans le bois de Quat'sous" et cette rencontre avait embelli ma journée.
Aujourd'hui, dans le jour qui bruinait, il gisait raide et froid. Il n'avait pas dû mourir sur le coup et s'était recroquevillé, formant un arc noir et blanc sur la route mouillée. Que faire quand il n'y a plus rien à faire ? Lui éviter de se faire réduire en bouillie. Avec les bottes, le pousser doucement vers le bas-côté, lui créer une sorte de nid, placer sur son corps immobile une tige de primevère, improviser une petite cérémonie.
La nature, maitresse d'impermanence, nous apprend à jouir de l'instant, à découvrir et à perdre constamment. Nullement de sept lieues, ces bottes de peu, souvent crottées, régulièrement embourbées, emmènent à la découverte. Elles sont des alliées face à tout ce que l'existence a prévu de nous faire expérimenter.

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