Signe indéniable du changement de saison : sur la table, sans transition, la tomate a été détrônée par le potimarron. Entre les deux légumes fruits, quelle révolution! Finies les salades sorties du frigo, les saveurs acidulées, les tranches enjolivées de pesto. La cucurbitacée s'est imposée en soupes, en gratins, en risottos. Pour se sentir revigorés, on la déguste en entrée, on la savoure rôtie dégoulinant de miel et de gorgonzola, on apprécie sa saveur de châtaigne avec thym et burrata. L'avantage de cette variété à longue durée, c'est qu'il n'y a rien à éplucher, on enlève les graines et on se contente de débiter. Dès lors, on en achète quantités qu'on disperse en guise de décoration : c'est beau, c'est coloré, ça met de la bonne humeur dans toute la maison.
jeudi 26 septembre 2024
mercredi 25 septembre 2024
Vivre : donner du temps au temps
Le penseur / Auguste Rodin / 1903 / Expo Rodin/Arp Fondation Beyeler / Bâle
Quelle place laissée au corps et à
ses propres ressources ? Quelle confiance en ses capacités de défense ? Quel temps accordé à nos propres rythmes et
solutions pour nous remettre sur pied ?
Les
pieds justement. J'observe ces jours-ci le travail lent de ma peau que
l'eau des piscines vient chaque année agresser. Une fois les jours de
baignades passés, les mycoses s'assèchent et s'en vont. Lentement.
L'épiderme se renouvelle. La santé reprend ses droits et j'aime ça, la lente progression du corps sage qui se reprend.
En libre-service, dans les pharmacies, des kilomètres de remèdes aux mille maux susceptibles de nous affecter. Il y en a pour tous les besoins, tous les goûts et tous les prix. Nul doute : j'aurais pu trouver sur les rayonnages une
crème miracle apte à régler mon problème d'un revers de la main. Mais la vue de ma peau saine gagnant peu à peu du terrain m'apparaît comme un petit
miracle quotidien.
mardi 24 septembre 2024
Voyager : dans le silence des pierres
C'est un lieu qui nous appelle et à chaque retour quelque chose vient nous parler de souvenirs éphémères qui nous bercent et nous apaisent. Ce soir-là nous nous étions aventurés sur les pavés, dans un calme souverain, constellé de rares murmures et de faibles bruissements.
Peu sensible aux grands tracés noirs, tableaux qui scandaient les espaces, happés par l'esprit des lieux, nous avions parcouru les couloirs et les salles, longé les cloîtres et les allées, pris par un sentiment d'irréalité, tandis que le ciel se teintait de ce bleu pâle qui précède l'obscurité.
Nous avons salué des ombres imaginant des événements passés. Une silhouette nous a souri qui se reposait face aux murettes et méditait les yeux perdus dans l'attente de la nuit. Nous nous sommes un peu égarés dans notre parcours fléché. Nous avons été touchés par la manière dont on nous a réorientés, les quelques mots prononcés, les perspectives susurrées.
Au moment de quitter les lieux, nous avons constaté que le renfoncement dans le portail était vide. L'homme qui l'année précédente s'y installait pour y trouver refuge avait
disparu. Vers quel nouvel abri, nous sommes-nous demandé ? Son absence nous a un peu attristés. Nous avons nous aussi quitté la chartreuse assombrie, en catimini, comme deux chats attirés par d'autres lueurs dans la nuit .
lundi 23 septembre 2024
Vivre : a minima
Sans transition ou presque, voici arrivés le froid quasi sibérien des matins embrumés et la vague nostalgie des après-midis surchauffés. Le corps malmené par tous ces yoyos exige de la lenteur, appelle de la douceur. On va chercher un peu de tendresse au bord de l'eau, là où l'on trouve encore du rose, des chants, des fleurs, des envols. Sur la plage, deux mères se plaignent du linge qui ne veut pas sécher, évoquent leurs enfants malades qui n'en finissent pas de tousser. Nous, passant, on n'éprouve qu'une envie : rentrer chez soi, rentrer en soi. Garder toutes nos énergies pour traverser cette saison qui nous laisse vaguement pantois. Marcher mais sans rien dire, ne surtout pas parler. Faire un signe. Un geste. Lancer tout au plus un salut. Mais opter pour le silence, garder les mots bien à l'abri tout au fond de soi, se réchauffer aux histoires qui s'élaborent et qu'on racontera plus tard.
dimanche 22 septembre 2024
Vivre : petite chérie
Maddalena / Lorenzo Costa / Bologna / collezione privata
La voix plus sucrée qu'un nougat, un sourire constant aux lèvres, elle énonce des platitudes avec une tranquille assurance. Elle est d'accord. Elle ajoute une petite précision. Rien qui puisse contrarier ou perturber. Elle convient que. Elle précise juste que. Les vagues, elle n'en veut pas, du moins pas de ce genre-là. Dans les relations et leurs triangles, elle s'est choisi une place de choix : c'est le rôle de victime qui lui va. Elle y tient dur comme fer. Toujours à la recherche d'un sauveur, toujours dans la crainte d'un persécuteur, elle passe son temps à se surveiller, à se désoler, ou à approuver, ou les trois à la fois. A qui lui suggère d'élargir son répertoire, elle rétorque qu'on ne la comprend pas. Sa vie est si complexe. Quel combat! Et elle continue avec sur le visage son éternel sourire barbe à papa...
samedi 21 septembre 2024
Lire : il était une fois un père
On disait que tout chez lui, jusqu'à sa démarche, irritait les autorités. Car sa démarche elle-même était pleine de bravade. Lorsque j'entendis cela pour la première fois, je me dis aussitôt que c'était remarquablement observé. Tout petit déjà, il m'était impossible d'imaginer mon père courbant l'échine. Il m'est toujours apparu comme la quintessence de l'indépendance. [p. 51]
Cet été, durant les longues après-midi de canicule, j'ai relu Un mois à Sienne,
un récit tout à fait à part puisqu'il raconte le mois de "congé" que s'est octroyé l'auteur après avoir achevé l'écriture de La terre qui les sépare, un livre récompensé par le Pulitzer de l'autobiographie en 2017 et dont la rédaction l'a occupé pendant près de trois ans. Comme la première fois, j'ai aimé suivre l'auteur s'octroyant un moment de repos dans la ville de Duccio, au cœur de la peinture siennoise si rassurante, loin de toutes les préoccupations et des tourments de son existence déracinée. Cette deuxième lecture m'a aussi donné envie d'en savoir davantage sur Hisham Matar, sa trajectoire de vie, mais aussi celle de sa famille et particulièrement celle de son père, Jaballa.
Alors que l'auteur était âgé de 19 ans et qu'il poursuivait ses études à Londres dans une situation de quasi exil, son père, réfugié au Caire, a été enlevé par les services secrets égyptiens et livré aux sbires de Mouammar Kadhafi. Jaballa Matar n'était pas n'importe qui : c'était l'un des opposants au dictateur libyen les plus cultivés et les plus actifs. Pendant de nombreuses années, le sort qui lui a été réservé après son enlèvement a fait l'objet pour ses proches d'incessants questionnements. La politique du régime était d'effacer un maximum de traces, si bien que durant des décennies, la famille a investigué pour tenter de connaître la vérité. A ce jour, il est permis de penser qu'il a été transféré dans la prison d'Abou Salim, où les opposants politiques étaient rassemblés et où l'on procéda en juin 1996 au massacre de quelque 1270 détenus en l'espace de quelques heures. C'est probablement durant ces événements que Jaballa Matar a été supprimé. Mais... il n'en existe aucune preuve et maintenant encore le doute subsiste sur les conditions de sa disparition.
La terre qui les sépare pourrait se résumer ainsi : la tentative obstinée d'un fils de recevoir une réponse à la question "qu'est-il devenu ?". Une question vertigineusement simple mais qui, malgré un nombre invraisemblable de recherches et d'interventions officielles et officieuses, n'a jamais pu être résolue. Une question qui pourrait rendre fou, si ce n'est que l'auteur la pose au centre de son existence et de son écriture.
Le livre commence début 2012 au moment où Hisham Matar retourne avec sa mère et son frère en Libye. Procédant par allers-retours, par narrations successives, entrelaçant des faits historiques, des témoignages et des confidences intimes le récit retrace non seulement l'histoire de l'auteur, de son père, de sa famille, mais aussi l'histoire d'un pays, d'un peuple sous dictature, depuis près d'un siècle, ayant dû subir la colonisation italienne avant de tomber sous le joug d'un dictateur fou. Un peuple dont les souffrances sont loin d'être achevées puisque l'espoir de reconstruire un nouveau pays, après les soulèvements de 2011, n'a conduit qu'à des conflits de pouvoir, à de nouvelles terreurs et au chaos.
A Perpignan, j'avais emmené le bouquin et je le lisais entre deux visites. Il est porté par un très belle écriture, mise en valeur par la traduction d'Agnès Desarthe. Pendant 48 heures, là-bas, des images d'horreur et de souffrance, d'absurdité et de violence, m'ont profondément habitée. De ce fait, le récit de Hisham Matar m'a paru en accord avec la ville et ses expositions.
Dans la foulée, je me suis procuré le dernier roman de l'écrivain, Mes amis, paru à Londres cette année. Une histoire présentée comme une fiction, évoquant trois amis libyens qui se retrouvent exilés à Londres et dont les destins sont voués à diverger après 2011. Il est surprenant de constater que ce roman n'est somme toute qu'une nouvelle manière de raconter l'absence et les diverses manières de lui survivre.
Après ces trois livres, rapportant chacun à leur manière les sinuosités de l'exil, les multiples pertes, perte de repères, d'un pays, d'un père, d'une patrie, la résignation à ne pas savoir, l'obstination à continuer de vivre, on s'interroge sur ce que c'est que le deuil. On se demande à quoi il tient. Il semble que l'on ne puisse survivre à l'absence, au vide et au flou que par une élaboration artistique, par le recours à la mémoire, en recherchant, en écrivant, en construisant des versions possibles et acceptables de la réalité.
Le pays qui sépare les pères des fils a désorienté plus d'un voyageur. Il est très facile de s'y perdre. Télémaque, Edgar, Hamlet et d'autres fils innombrables, dont le drame intime égrène les heures de silence, ont vogué si loin et parcouru de si longues distances entre le passé et le présent qu'ils semblent pour toujours à la dérive. Ce sont des hommes qui, comme leurs semblables, sont venus au monde par le biais d'un autre homme, un mentor, qui leur a ouvert la porte, et qui, s'ils sont chanceux, l'a fait en douceur, en leur adressant peut-être un sourire rassurant et en posant sur leur épaule une main encourageante. Les pères savent forcément, ayant eux-mêmes été des fils, que la présence fantomatique de leur main restera des années durant et jusqu'à la fin des temps, et que, quels que soient les fardeaux que l'on accumulera sur cette épaule et le nombre de baisers que l'amour viendra y déposer, sans doute attiré par le désir secret d'effacer le sceau d'un autre, cette épaule restera pour toujours loyale, en souvenir de la main de cet homme qui a eu la bonté d'ouvrir les portes du monde. [p.76]
En anglais :
The Return : Fathers, Sons and the Land in Between, 2016
A Month in Siena, 2019
My Friends, 2024
vendredi 20 septembre 2024
Vivre : embrasser la vie
MissTic / Palais des Papes / Avignon / 2024
C'était la fin de l'après-midi. Le mistral semblait ne jamais vouloir concéder le moindre répit, s'engouffrait dans tous les interstices, soulevait robes et chevelures, emportait des ballons qui laissaient leurs bambins orphelins. Soudain, sortant de sa pauvre échoppe, la femme a déboulé sur le trottoir. Elle était peut-être édentée ou tatouée ou en manque de dieu sait quelle substance, peu importe, elle avait retroussé ses manches sur ses maigres bras et s'est mise à gesticuler, portant ses mains en avant, les agitant tandis qu'une musique la suivait, quelques notes et déjà la femme sautillait se trémoussait. Un policier qui passait en voiture l'a regardée sans aménité. Mais la femme s'en foutait. Ses genoux s'élevaient par saccades, ses pieds tapaient la mesure et tout à coup les notes se sont assemblées et on a commencé reconnaître une vieille rengaine au bois dormant depuis tant d'années, Kiss me, as you love me, C Jérome, 1975, prends un coca, viens avec moi... La femme soudain sous l'impulsion de la mélodie était devenue une boule d'énergie qui n'avait plus d'âge, qui voulait juste danser, comme autrefois, comme toujours comme à l'instant, un drapeau américain, un blue jeans qui ne valait plus rien, le monde dans la rue, les passants, les bien-pensants, les enfants, plus rien n'existait que sa joie d'être d'être en vie, dans la lumière sauvage de Perpignan en cette fin d'après-midi.
jeudi 19 septembre 2024
Vivre : la leader cheap
Histoires de la Vierge (détail) / Maestro di San Martino Alfieri /Palazzo Mazzetti /Asti
Elle se prend au sérieux. Très. Avec elle, pas question de rigoler. Elle veut être la première de classe et les travaux qu'elle rend affichent une austère fiabilité. Son complexe de supériorité l'oblige à s'entourer de suivistes aptes à la valoriser. Ainsi, elle apparaît toujours très rigide, avec quelques rares émules en train de constamment hocher la tête à ses côtés.
mercredi 18 septembre 2024
Habiter : les éponges et les torchons
Fresques (détail façade) / Masaccio ou Masolino / Cappella Brancacci / Florence
La maison : un organisme vivant en constante évolution.
Les insectes et les araignées : des acteurs en pleine action.
Le ménage : une réponse vaine toujours remise en question.
mardi 17 septembre 2024
Vivre : la force tranquille
Adorazione dei Pastori / Domenico Ghirlandaio / Chiesa della Santa Trinità / Firenze
Ce qui surprend chez cet homme, c'est qu'il parvient toujours à être calme - toujours - sans jamais renoncer à exprimer ce qu'il pense et ce qu'il ressent. Il affirme sans s'imposer. Il écoute sans se laisser influencer. Il fait ce qu'il doit faire en toute simplicité. Il ne cherche jamais à s'afficher. Il trace sa route sans autre ambition que de continuer de bien faire ce qu'il a toujours bien fait. Il excelle dans son domaine sans jamais frimer. Il est.
lundi 16 septembre 2024
Regarder : visa pour témoignage
Le photojournaliste Muhammad Al-Alul serre dans ses bras le corps de son fils.
Quatre de ses cinq enfants ont été tués par une frappe israélienne sur le camp
Al-Mahazi le 5 novembre 2023.
Parmi toutes les images vues durant ces jours de Visa, c'est celle-ci qui m'a le plus marquée. Elle a été prise par la photographe Samar Abu-Eluf, qui est basée à Gaza et collabore en free-lance au New-York Times. La jeune femme s'est vu attribuer, au travers de son journal, le Visa d'Or de la presse quotidienne.
Des photographies de guerre et d'horreur, il y en avait des centaines là-bas, exposées sur les divers sites à Perpignan. Des images d'atrocités, de solitudes, d'expériences extrêmes. Toutes les images que les correspondants captent et adressent à un journal, lequel décide - ou pas - de n'en publier qu'une infime partie. Pourquoi celle-ci davantage qu'une autre ?
Il va sans dire que le travail de témoignage accompli par tous les professionnels exposés, où que ce soit, dans quelque camp que ce soit, relève d'un immense courage. Il est dû à la force, la détermination, la prise de risque, la capacité d'aller sur le terrain affronter des réalités insupportables pour que personne ne puisse dire qu'il ne savait pas. Mais pourquoi cette photo-ci particulièrement ?
Peut-être pour la sobriété de son langage. On y voit au centre, à l'intérieur d'une voiture, un homme, un père, qui tient dans ses bras un enfant mort, un tout jeune enfant qui ne doit pas avoir plus de cinq ans. Le petit, enveloppé dans un linceul blanc, a le teint cireux de ceux pour qui rien n'est plus envisageable. A le regarder pourtant, on peut l'imaginer à peine un ou deux jours auparavant, serrer contre lui un jouet, ressentir des élans d'affection, des envies de courir ou de rechercher la protection de ses parents. On peut l'imaginer juste avant. On peut l'imaginer vivant.
Le père le serre contre lui. Il lève les yeux vers le ciel comme si le toit de la voiture n'existait pas. Il semble demander : pourquoi ? comment ? Il paraît indifférent à tous les gens qui s'agglutinent au-dehors. Ces gens ont revêtu des gilets bleus. On constate que le père porte lui-aussi un de ces gilets avec "presse" écrit dessus. On aperçoit des smartphones dirigés vers lui et son enfant. Mais le père ne les voit pas. Il s'est retiré au-dedans. Il est ailleurs, dans un autre monde. On dirait qu'il est parti accompagner ailleurs son enfant.
Un seul détail réconforte le spectateur : une main, une main solidaire, chaude, ferme s'est posée sur le bras du père. Une main qui dit : tu n'es pas seul. On ignore si le père la sent, cette main, mais le spectateur sait qu'il en a besoin.
Cette photo - sorte de Pietà contemporaine - dit tant de choses avec très peu de moyens. Sur la vie, la mort, l'enfance, la fragilité des choses belles, l'intensité des liens, l'absurde et l'intolérable. "On ne vient pas ici pour voir de belles images" a lancé quelqu'un. Peut-être qu'on y vient pour se confronter à l'insondable abîme de la souffrance humaine et pour oser le regarder en face. Parce que l'image, par le biais des yeux, parle directement au cœur aussi bien qu'à la tête, parce que les réalités du monde doivent se percevoir autant avec les tripes qu'avec l'intellect. Peut-être enfin parce qu'il s'agit de rendre hommage à tous ceux qui se battent pour que nous soyons informés, pour que nous puissions tenter de comprendre ce qui défie l'entendement.
dimanche 15 septembre 2024
Vivre : des mondes dans la ville
Apprivoiser les lieux : les domestiquer peu à peu pour les rendre familiers. Le matin, nous traversions la place Molière, empruntant son escalier monumental surmonté d'un médaillon de pierre. Nous nous dirigions vers le marché de Cassanyes à travers des ruelles que la gentrification n'était pas près de dévorer. Un silence urbain y régnait, ponctué d'interpellations soudaines, de portes claquées et de pas qui s'éloignaient. Du linge suspendu aux fenêtres affrontait les assauts du mistral sans se laisser démonter. De vieux matelas, des carcasses de frigidaires patientaient devant certaines entrées.
Arrivés au marché, nous nous attardions rêveusement devant des amas de djellabas, de câbles, de casseroles, toutes sortes d'objets plus ou moins utiles à prix cassés. A vrai dire, c'étaient les montagnes de fruits et de légumes, les divers emballages de semoule et d'épices qui m'emballaient. J'aurais aimé pouvoir me dégoter une cuisine, me procurer le nécessaire et me mettre à mitonner. Nous serpentions parmi les ménagères et leurs chariots bariolés en train de soupeser tomates, aubergines et courgettes d'un œil experimenté. Nous passions devant des cafés à la clientèle masculine encore ensommeillée. On aurait pu s'arrêter, boire un thé à la menthe, manger une corne de gazelle, nous laisser emporter par les odeurs, les accents, évoquant une autre Méditerranée, mais un programme différent nous attendait.
Au dernier stand, nous prenions à droite, sur le boulevard pour nous diriger vers le Palais. C'est toujours un peu à contrecœur que nous quittions la place et son univers palpitant. La circulation de l'artère, la laideur de ses constructions, les vitrines abandonnées nous pressaient d'avancer. En cinq minutes, nous nous retrouvions devant la majestueuse silhouette que Jacques II, roi de Majorque avait commandée. C'était beau. C'était imposant. C'était apaisé. En quelques instants, nous avions traversé des siècles, nous avions changé de territoire et d'univers, et la sérénité des lieux allait nous envelopper.
Nous avions besoin de cette forteresse. Nous le savions. Nous avions besoin de ces fortifications, de leur puissance inébranlable pour affronter les mondes perturbés et perturbants qui nous attendaient.
samedi 14 septembre 2024
Vivre : l'écouter, c'est l'adopter
Chats alanguis dans la cour du Palais des Rois de Majorque / Perpignan
C'est hier, en prenant congé, que j'ai entendu le verbe pour la première fois. Et sans guillemets, s'il vous plait. L'homme a dit à propos de sa collègue : oui, elle parvient à zénifier toutes les situations, même les plus difficiles. J'ai tout de suite adopté le terme en me souhaitant l'opportunité de l'utiliser fréquemment. Rencontrer des personnes zénifiantes, c'était mon vœu le plus cher pour la rentrée.
mardi 10 septembre 2024
lundi 9 septembre 2024
Vivre : déjà?
Annonciation (détail) / Botticelli / Galerie des Offices / Florence
Quoi ? Déjà la saison ? Déjà le temps des frissons ?
La rivière se fait lasse, nous balade sans conviction.
Entre les herbes folles, un chat noir épie les nageurs.
Les rires se font plus doux, les défis plus rares.
On se susurre des confidences, on se dit au revoir.
(les adieux des vieilles ont quelque chose d'amer)
(les petits oublient des balles que les chiens récupèrent)
Voici donc revenue la saison d'inventer d'autres horizons.
dimanche 8 septembre 2024
Regarder : la beauté des gestes
Collection boules de pétanque rassemblées par Hans Silvester / Museon Arlatan / Arles 2024
Le deuxième soir, dans la cour de l'Arlatan, la femme à la table d'à côté s'est mise à énumérer ce qu'elle avait vu après trente-six heures de présence (elle n'a pas dit "fait", c'était déjà ça). Elle avait enchaîné les expositions et en a mentionné trois qu'elle avait particulièrement appréciées. J'ai passé mentalement en revue les images et les thématiques que pour ma part j'avais explorées. Je me suis demandé de quoi nous nous souviendrions tous dans une année. Nous qui n'étions pas des professionnels, nous rappellerions-nous encore du nom de quelques photographes ? Et du titre des présentations ? Et des différents sujets, de leur mise en place ? Que retiendrions-nous au final de notre passage ?
Dans
ce monde où tout pousse à aller vite, de plus en plus vite, on se
surprend à avoir besoin de temps, de plus en plus de temps pour
assembler tous les éléments en présence et tenter de
comprendre. Il y a ce double phénomène : de plus en plus d'éléments et
de plus en plus la nécessité de leur trouver des liens et de la cohérence.
Le dernier jour, j'ai eu envie de retourner faire un nouveau tour et revisiter. Regarder encore pour apprivoiser et peut-être mieux voir. En savoir plus sur le travail des différents artistes, sur leur processus de création, leurs expérimentations. Ainsi, Hans Silvester, qui présentait au magnifique Museon Arlaten une série de tirages sur la pétanque, Viser juste, où se mêlaient humour, tendresse et sociologie de terrain. Je m'attendais à une exposition sans prise de tête, se référant à une culture populaire et par là-même plutôt bon enfant. J'ai été surprise par l'attention portée à des détails pouvant sembler insignifiants.
Les boules, on ne peut pas les laisser par terre pendant le jeu. On les a toujours en main, on attend à tour de rôle pour les utiliser et chaque joueur a une façon bien particulière de les tenir. ça indique son état d'esprit, s'il est calme ou nerveux. ça m'a touché visuellement, ces formes, la boule ronde, entourée des doigts de la main, c'est un peu de la sculpture, je dirais. [H.S., 2023]
Ce qui était surprenant, c'était l'élégance des mouvements propres à cette activité (ou bien faudrait-il parler de compétition sportive? de tradition sociale ?). Plus on regardait et plus on percevait les subtilités de ce jeu de boules typiquement provençal. On se disait qu'il relevait d'un certain art de vivre et de faire société. D'un art tout court aussi. Tous ces aspects étaient rendus par le savoir-faire du photographe à l'affût.
Sur le moment, le nom de l'artiste ne m'avait pas dit grand chose. Et c'est en allant faire quelques recherches sur sa page wikipedia que j'ai retrouvé le fil : c'est lui qui avait publié dès 2006 des ouvrages enchanteurs sur les tribus de l'Omo (la rivière qui coule au Sud de Addis-Abeba, jusqu'aux confins du Soudan et du Kenya). Non seulement militant écologiste, amoureux du Sud de la France, mais aussi grand voyageur, Hans Silvester avait su mettre en évidence l'infinie beauté de ces peuples éthiopiens qui aiment s'assimiler aux fleurs, aux plantes et autres êtres sensibles de leur environnement jusqu'à se fondre dans celui-ci.
Tout au long de ces Rencontres, la question revenait, toujours la même : fallait-il partir à la découverte, voir un maximum de choses, au risque de survoler, de "mal étreindre" ? Ou bien se restreindre, s'attacher à approfondir, à creuser pour tenter d'apprivoiser l'univers de l'auteur ? Vaste et vertigineuse question à laquelle chaque visiteur est toujours confronté quelque soit le domaine qui le fascine. Selon l'humeur et selon l'instant, chacun choisit de suivre l'une ou l'autre voie. Contrairement à ma voisine de restaurant, qui butinait joyeusement d'exposition en exposition, je préférais décrire des boucles et chercher des connections. Trouver des pièces de puzzle pour ajouter du sens à tant de mondes dévoilés.
samedi 7 septembre 2024
Vivre : chercher et chercher encore
Viser juste / Hans Silvester / Museon Arlaten / Rencontres Arles 2024
Dès que tu parviens à définir ton problème en une seule phrase, tu es pratiquement arrivée à sa solution.
vendredi 6 septembre 2024
jeudi 5 septembre 2024
Regarder : kiffer l'enfance
Skeme courant sur le toit d'un métro / 1982 / AU NOM DU NOM / Arles 2024
Dondi 1982 graffe un wagon entier dans la gare de triage de New Lots / 1980 / AU NOM DU NOM / Arles 2024
Dez (alias dj Kay Slay) graffe un train dans le 3 Yard de Harlem / 1982 / AU NOM DU NOM / Arles 2024
De 1977 à 1980, Martha Cooper était photographe pour le New York Post. Entre ses missions, elle photographie des enfants jouant entre les décombres des quartiers défavorisés. Cette nécessité de détourner l'espace public, de mettre son corps et son imaginaire en mouvement contre les assignations l'a menée à documenter plus tard les pionniers et les pionnières du hip-hop. Elle dit : "Les quartiers les plus pauvres de la ville avaient la vie la plus riche et mon endroit préféré était Alphabet City, au nord de Houston Street entre les avenues A et D. Dans les années 70 la région était en plein renouvellement urbain, un processus qui se poursuivait encore vingt-cinq ans plus tard.[...] Aux yeux d'un adulte le paysage était laid et menaçant, mais pour un enfant les bâtiments abandonnés et les terrains jonchés de débris constituaient un terrain de jeux parfait, offrant des matériaux bruts et de l'espace ouvert pour jouer de manière improvisée." (présentation Museum of the City of NY)
Portrait d'Edwin / 1978 / AU NOM DU NOM / Arles 2024
Les photographies de Martha Cooper ramènent à la pure vitalité, celle de l'enfance et de l'adolescence, ce monde sans complexes et sans limites où l'inventivité peut s'exprimer en dehors de toute comparaison. Ces îlots d'avant les sélections et les dévalorisations, d'avant la confrontation avec les questions de classes et de différences sociales.
Un enfant pauvre qui joue dans un quartier pauvre où il est né n'a pas
conscience de ce que la société définit comme sa pauvreté. Il ne s'en
trouve pas dénigré. Pourquoi le serait-il ? Ce sont les regards extérieurs qui plus tard viendront lui dire qu'il est défavorisé, lui colleront l'étiquette de démuni pour le stigmatiser. Lui, il s'invente des mondes, des univers, des espaces. Lui joue, rit, pleure, pourvu qu'il ait la chance de trouver suffisamment de place et d'amour pour pouvoir grandir en liberté.
Boy on Stilts, Lower East Side / 1978 /AU NOM DU NOM / Arles 2024
Ces images m'ont rappelé l'appel des cabanes de mon enfance sans cesse détruites et toujours recommencées. Le bonheur des jeux inventés et des genoux écorchés. La pauvreté, la véritable pauvreté, c'est le manque de reconnaissance, le manque de mots, de perspectives et de créativité.
"Si ça ce trouve, ils sont plus riches que nous" a lancé l'autre jour un maraîcher après avoir tendu quelques pièces à un couple de vagabonds accompagnés de leur chien. Qui sait, en effet, de quoi le manque des autres est fait ? Et qui saura la misère de ceux qui vont chercher leur bonheur dans les allées des centres commerciaux et autres hypermarchés ?
mercredi 4 septembre 2024
Vivre : pas de quoi insister
Lâcher-prise : lâcher ce sur quoi on n'a pas prise.
Pas plus compliqué que ça. Juste:
renoncer à vouloir contrôler ce qui ne dépend pas de soi.
mardi 3 septembre 2024
Vivre / Regarder : accords
tandis que je visionnais des images nippones toutes en douceur et clairvoyance
les nuages au diapason assumaient une mine de circonstance
lundi 2 septembre 2024
Regarder : la fragilité des échanges
nishimura tamiko / Eternal Chase – Around Shibetsu, Hokkaido / 1970-72 / quelle joie de vous voir / arles 2024
Je voulais capturer ce qui se situe à la lisière entre ce que l'on voit et ce que l'on ne voit pas.
Je voulais donner forme à ce qui jaillit en marge de la prise de vue. Récemment, j'ai eu la
vague impression d'essayer de capturer quelque chose d'invisible.
Nishimura Tamiko
kawauchi rinko / utatane / 2001 / quelle joie de vous voir / arles 2024
Entre les choses matérielles et les choses impalpables, nous naviguons. Nous ne cessons de naviguer, d'aller et venir entre des réalités tangibles, définissables, exprimables et nos émotions, nos perceptions, nos intuitions.
kawauchi rinko / ametsuchi / 2012 / quelle joie de vous voir / arles 2024
(Toujours ces tensions entre les mots, les codes et les objets, tout ce qui s'impose comme vrai - que nous pouvons attester - et la vie des sens, les mouvements des nuages, les éléments éphémères, les ombres qui dansent)
kawauchi rinko / the eyes the ears / 2004 / quelle joie de vous voir / arles 2024
Nous nous efforçons sans cesse d'aller et de venir entre ce qui existe et qu'on ne voit pas et ce qu'on voit et qui n'existe pas. Peu de ponts viennent nous rappeler ces allers-retours constants qui sont les nôtres, dans lesquels les autres ne pénètrent que rarement. Peu de ponts, si ce n'est quelques notes - de musique ou de photographe - pour venir nous parler d'un monde commun.
dimanche 1 septembre 2024
Vivre : la bonne définition
Palais des Papes / Avignon / été 2024
Ne règle pas ta focale sur les morsures qu'on t'a infligées
mais sur tes inlassables capacités à cicatriser
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