dimanche 15 septembre 2024

Vivre : des mondes dans la ville

 

 
Apprivoiser les lieux : les domestiquer peu à peu pour les rendre familiers. Le matin, nous traversions la place Molière, empruntant son escalier monumental surmonté d'un médaillon de pierre. Nous nous dirigions vers le marché de Cassanyes à travers des ruelles que la gentrification n'était pas près de dévorer. Un silence urbain y régnait, ponctué d'interpellations soudaines, de portes claquées et de pas qui s'éloignaient. Du linge suspendu aux fenêtres affrontait les assauts du mistral sans se laisser démonter. De vieux matelas, des carcasses de frigidaires patientaient devant certaines entrées. 
Arrivés au marché, nous nous attardions rêveusement devant des amas de djellabas, de câbles, de casseroles, toutes sortes d'objets plus ou moins utiles à prix cassés. A vrai dire, c'étaient les montagnes de fruits et de légumes, les divers emballages de semoule et d'épices qui m'emballaient. J'aurais aimé pouvoir me dégoter une cuisine, me procurer le nécessaire et me mettre à mitonner. Nous serpentions parmi les ménagères et leurs chariots bariolés en train de soupeser tomates, aubergines et courgettes d'un œil experimenté. Nous passions devant des cafés à la clientèle masculine encore ensommeillée. On aurait pu s'arrêter, boire un thé à la menthe, manger une corne de gazelle, nous laisser emporter par les odeurs, les accents, évoquant une autre Méditerranée, mais un programme différent nous attendait.
Au dernier stand, nous prenions à droite, sur le boulevard pour nous diriger vers le Palais. C'est toujours un peu à contrecœur que nous quittions la place et son univers palpitant. La circulation de l'artère, la laideur de ses constructions, les vitrines abandonnées nous pressaient d'avancer. En cinq minutes, nous nous retrouvions devant la majestueuse silhouette que Jacques II, roi de Majorque avait commandée. C'était beau. C'était imposant. C'était apaisé. En quelques instants, nous avions traversé des siècles, nous avions changé de territoire et d'univers, et la sérénité des lieux allait nous envelopper. 
Nous avions besoin de cette forteresse. Nous le savions. Nous avions besoin de ces fortifications, de leur puissance inébranlable pour affronter les mondes perturbés et perturbants qui nous attendaient.





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